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pluie qui se mit à tomber et me força de regagner ma demeure.

Le concierge guettait ma rentrée. Un pressentiment lui avait fait espérer qu’un gros pourboire suivrait la remise d’une petite lettre qui lui avait été apportée pour moi dans la soirée avec recommandation expresse de me la faire tenir aussitôt que possible. Au premier coup d’œil sur la suscription, je reconnus l’écriture de ma bien-aimée. « C’est mon arrêt de condamnation, me dis-je, et, dans la bonté de son cœur, elle a cru en adoucir la rigueur en me l’annonçant elle-même ». Je pris la lettre et je montai chez moi sans m’inquiéter de cette main que le concierge tendait ouverte au large pourboire dont il s’était leurré. Je posai la lettre sur ma table. À quoi bon l’ouvrir ? Je n’en devinais que trop le contenu ! Pendant une heure, je tournais autour de cette mignonne lettre qui parfumait la chambre de sa douce senteur… Je souffrais bien, je vous le jure ! Je souffrais tant que je ne voulus pas me priver plus longtemps de l’unique consolation qui me restait : celle de baiser les petites pattes de mouche de mon ange. Ce fut dans cette seule intention que je brisai le cachet. Mes mains tremblaient, je sentais un pincement douloureux au cœur, mes jambes étaient en coton, mes yeux me piquaient.

Ah ! chers lecteurs, la joie ne tue pas !!!

Non, elle ne tue pas ; mais je ne comprends guère comment elle n’estropie pas car, après avoir lu la lettre, je bondissais par ma chambre, cassant le lustre avec mon front, sautant sur les meubles, et je me souviens que j’étais perché sur le marbre