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J’eus l’imprudence de ne pas savoir contenir mon indignation ; on échangea les cartes, et le lendemain j’étais cloué au lit par un superbe coup d’épée dans le flanc.

Le baron fut des premiers à me rendre visite.

— Tu as eu tort, garçon ; il ne fallait pas dire brutalement son fait à un monsieur qui manie si bien la lame. Tu as négligé le biais. Tu aurais biaisé que tu serais encore à cette heure sur tes jambes, mon cher filleul.

À quelque chose malheur est bon. Le motif du duel fut connu ; jeune fille et parents l’apprirent bientôt, et quand je me retrouvai solide, les portes de la maison s’ouvrirent pour moi à deux battants.

Jeune, jolie, charmante, pas pianiste, telle était l’enfant dont je m’étais fait le défenseur. Aussi, un mois plus tard, j’étais amoureux fou, et j’allais droit au père lui demander la main de sa fille.

Hélas ! l’amour fait véritablement perdre la tête ! On oublie certains détails qui n’échappent pas à une personne de sang-froid comme l’était le papa.

Aussi sa première question fut celle-ci :

— Vous avez de la fortune ???

Sa question indiscrète me laissa presque interdit.

— Oui… oui… je ne suis pas sans argent, balbutiai-je.

Je sentis qu’il allait creuser la question. J’étais perdu. Une inspiration me sauva ; je songeai aux fameux biais du baron.

— Vous connaissez monsieur de V., lui dis-je,