Page:Chavette - Les Petites Comédies du vice, 1890.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(Neuf heures trente-cinq, c’était l’heure de mon pédicure, mais mon amour désordonné me faisait sacrifier pour une fois mon exactitude).

Le lendemain, à l’heure dite, j’étais tout délirant de passion, chez Me  Crosse, mon notaire.

Je ne tarissais pas en éloges sur le compte de mon adorée, pendant que cet officier ministériel préparait son papier timbré.

— Vous allez la voir, blonde ! belle ! élancée ! une main de reine ! une gorge de déesse ! une taille d’enfant — Voilà sept ans que je l’aime.

Tout à coup. mon notaire me demanda

— Est-elle grande ou petite ?

Cette fort simple question m’interdit ; je ne pus que répondre :

— Je n’en sais rien.

— Comment ? vous n’en savez rien ! Voilà sept ans que vous l’aimez, et vous ignorez si elle est petite ou grande ?

— C’est la vérité pure ; je ne l’ai jamais vu autrement qu’assise dans son comptoir… c’est-à-dire jusqu’à la ceinture.

— Mais vous avez dû pourtant vous rencontrer ailleurs… à la promenade, au théâtre, au bain ?

— Jamais autre part qu’à son café… et je suis si exact en tout, ma vie est si réglée que je n’ai pu, aucun jour, consacrer mon temps à cet ange que de onze heures cinq à midi moins cinq, moment où je la trouvais et je la quittais assise à son comptoir.

J’achevais à peine que la porte de l’étude s’ouvrit.

Ma fiancée entrait.