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Hélas ! j’avais compté sans l’arôme du Brie qui monta aux narines de mon terrible convive.

Il abaissa aussitôt son regard sur la table :

— Tiens ! que mangez-vous donc là ?

— Du Brie… un fromage du pays.

— Est-ce bon ?

— Peuh ! peuh ! Peuh ! fis-je avec une feinte grimace de dégoût.

— Ma foi ! tant pis ! on voyage afin de s’instruire…

Plus prompt que l’éclair, je lui tendis l’assiette pour un partage.

Le misérable avait bon cœur !!!

— Non, dit-il, je ne veux pas vous priver… Holà ! servante, une nouvelle portion.

Cet ordre me retentit au cerveau, ma vue s’obscurcit et, à mes oreilles qui tintaient, j’entendis la voix d’une sévère arithmétique qui me sifflait : « 48 et 3 font cinquante et UN !!! »

UN ! c’est-à-dire l’affront qui m’attendait au comptoir ! UN ! le sourire ironique de cette fille de salle !

UN ! l’aveu de ma misère devant mon hôte !

Vingt fois en deux secondes, dans ma cervelle en feu, je refis mon compte sans pouvoir me débarrasser de ce un qui revenait menaçant.

Cependant les clients, qui arrivaient en foule, réclamaient des places. La servante, pour obtenir notre table, n’attendit pas ma demande de l’addition.

C’est de ce jour que j’ai cru à la seconde vue, car en ce moment, sans tourner la tête, je sentis cette