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— Suis-je assez en chance pour que vous n’ayez pas encore déjeuné ?

— Malheureusement je sors de table… J’ai déjeuné… et amplement déjeuné, je vous le jure.

À cette réponse, mon cœur se dilata.

— J’entre avec vous, ajouta-t-il, nous causerons pendant votre repas.

Plein de confiance, je l’introduisis dans la salle.

Il me parla de Copenhague assez longuement pour que mon bifteck eut le temps d’être cuit et servi devant moi par la fille de salle.

Je me penchais déjà pour le couper, quand tout à coup :

— Hé ! hé ! fit mon homme, mais ça m’a l’air appétissant !

J’eus froid dans le dos ! — Oh ! cher lecteur, je vous l’affirme, je n’eus pas besoin de relever la tête pour lire la convoitise dans les yeux du Danois ; au son de sa voix, j’avais deviné tout de suite qu’il allait compléter sa phrase par :

— J’en mangerais bien un !!!

— C’est un peu lourd après votre déjeuner, lui objectai-je.

— Bah ! je digère mieux que l’autruche.

— … Et un peu dur.

— Je mâche du fer, ajouta-t-il avec un sourire qui découvrit des dents si larges, si solides, et surtout si profondément plantées, que c’était à croire qu’il s’asseyait sur l’extrémité des racines.

Pendant qu’il donnait ses ordres à la servante, je faisais mentalement ce calcul rapide : deux biftecks, 24… et 8 de vin, 32… et 6 de pain, 38 !!!