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sauvé ! car une invitation en ville me garantissait mon dîner et il me restait encore cinq francs pour déjeuner.

Justement j’avais très faim ce matin-là, et j’allais me rendre chez Brébant avec la ferme intention de dévorer mes cent sous jusqu’au dernier centime, quand on frappa à ma porte. C’était un camarade qui, ayant cru que le mois n’avait que trente jours, venait, la bourse vide, me faire un appel de fonds.

Nous partageâmes fraternellement ma fortune.

Ainsi écornée de cinquante sous, ma pièce ne me permettant plus le splendide Brébant, je me dirigeai donc mélancoliquement vers un bouillon Duval.

Je touchais déjà la porte, quand je me sentis embrassé tout à coup par deux bras, en même temps qu’une voix joyeuse s’écriait :

— Ah ! voilà une heureuse rencontre !

Et je reconnus un bon et aimable Danois dont j’avais fait la connaissance à Copenhague, où il m’avait choyé, fêté, hébergé, etc., enfin une généreuse hospitalité que je m’étais bien promis de lui rendre à Paris, lors de son premier voyage.

Le moment était venu !… oui, mais je n’avais que cinquante sous !!!

Je lui aurais bien dit que je me rendais à une audience très pressée du ministre, mais il m’avait malheureusement surpris la main sur le bouton de porte de l’établissement Duval :

— Tiens, vous entriez là ? me dit-il.

Vous comprenez le frisson de crainte et l’hypocrisie du sourire avec lesquels je répliquai :