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mard comptait finir ce soir, mais il a été tout à coup appelé chez un notaire.

— Est-ce que vous héritez ?

— Ah ! monsieur, c’est comme un rêve, nous n’osons y croire ; c’est si inattendu ! Quand je dis que nous héritons, je suis folle ; peut-être une bague, un souvenir, un rien, que sais-je ? Nous n’aurions qu’une pomme… une simple pomme… que nous devrions nous estimer très heureux, car enfin, le pauvre cher défunt ne nous devait rien.

— Ce n’était donc pas un parent ?

— Pas le moins du monde. Ah ! c’est toute une histoire. Vous savez que Colimard a son établi près de la devanture, car il a besoin du grand jour pour gaufrer. Donc tous les jours, de midi à deux heures, il passait devant la boutique un monsieur âgé qui s’en allait flânotant sur le trottoir comme un bon bourgeois qui fait sa petite promenade de digestion après déjeuner. Faut croire que ce vieux monsieur avait du goût pour la reliure, car il ne manquait jamais de se planter devant le carreau, et pendant vingt minutes il s’amusait à regarder mon mari travailler. Ça embêtait même assez Colimard de voir son jour obstrué ; aussi il lui échappa de dire une fois devant notre petit : « Ah çà ! est-ce que ce vieux desséché va prendre l’habitude de venir tous les jours attendre le croque-mort devant mon carreau ? » Ah ! monsieur, on a raison d’enseigner qu’il faut retenir sa langue devant les enfants ! C’était à peine lâché que voilà Dodore qui s’échappe de la boutique pour courir demander au monsieur : « Dis donc, vieux desséché, est-ce que tu attends le croque-mort ? »