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Madame. — Tu leur remplaceras le rôti par ton vin de Pouillac.

Monsieur. — Mais il n’est plus bon qu’à des conserves de cornichons.

Madame. — Il faut cependant bien le finir, ce vin ! On le refuse à la cuisine. Tu leur diras que c’est les cinq dernières bouteilles qui te restent de la vente de la cave de l’empereur ; cela leur fera croire qu’ils boivent du nectar, et tu les entendras même s’écrier : « Mazette ! il la passait douce, l’ex-despote ! » Jamais ça ne rate son effet.

Monsieur, mal résigné. — Tout cela est fort adroit, mais ça ne tient pas sérieusement la place d’un rôti. Si tu veux m’en croire, nous ferons rembrocher le veau.

Madame, sèchement. — Alors, autant me dire de jeter notre fortune par la fenêtre.

Monsieur. — Pour un carré de veau ! C’est de l’exagération.

Madame. — Du tout, c’est la vérité sur ton caractère. Tu as l’orgueil de la magnificence devant les étrangers ; si on te laissait faire, aujourd’hui c’est un carré de veau que tu veux leur offrir, ce serait demain un château qu’il faudrait acheter pour les recevoir à dîner. Oh ! je te connais bien, voilà cinq ans que je t’étudie sans en avoir l’air.

Monsieur, prenant son parti. — Allons, soit !

Madame. — Comment crois-tu qu’on puisse nous soupçonner d’une telle économie quand on verra notre argenterie ; car je veux que toute l’argenterie paraisse sur table, ne fût-ce que pour faire endéver madame Dulac, si vaniteuse de la sienne que, si elle l’osait, elle se planterait des fourchettes dans