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Saint-Phar. — J’ai de la méfiance.

Le tentateur, vivement, — Tiens ! tu connais ce bon M. de Puisec, ce vieux noble qui n’était pas sorti de chez lui depuis le départ des Bourbons et qui avait juré de ne plus quitter la chambre ? (D’un accent de triomphe) Eh bien ! il est venu, il est là… Pour qui ? Je te le demande, gros vilain (Souriant.) Pour toi, pour son petit Saint-Phar… Allons, viens, par politesse pour M. de Puisec.

Saint-Phar, brutalement. — Il ne m’a pas été présenté… Non.

Le tentateur, d’un ton dédaigneux. — Moi qui te croyais bien élevé ! (S’écriant tout à coup) Ah ! je devine ! (Le prenant à l’écart.) Ne rougis pas de te confier à un ami. Est-ce l’argent qui t’arrête, hein ? (Bas à l’oreille) Tous les frais sont payés : c’est l’État qui te régale.

Saint-Phar, fier. — Je ne demande pas l’aumône.

Le tentateur. — Oh ! de la susceptibilité, à présent ! Si tous les fonctionnaires étaient susceptibles comme toi pour leurs traitements, où en serait demain le gouvernement, hein ? Réponds, je te prie… Allons, viens vite ; je crains à tout moment qu’on ne s’aperçoive de ton absence.

Saint-Phar. — Non, j’ai de la méfiance.

Le tentateur, sévèrement. — Tu n’es qu’un ingrat envers le ciel ! (S’emportant.) Quoi ! tous les jours, au fond de la Californie, à Java, au Brésil, il y a des pauvres diables qui sont malades, impotents, qui ne peuvent se traîner ; et ils n’ont qu’un seul désir, ils ne forment que ce seul vœu :

— Ah ! que je voudrais donc mourir dans ma belle et douce patrie !