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CHARLES GUÉRIN.

bois, dans les concessions et dans les townships, et s’il n’a pas la Rivière aux Écrevisses, tout cela lui sera inutile.

— Alors il faudra que je lui fasse avoir cette terre.

— V’la qui est pas mal drôle. Tu vas lui faire avoir une terre qui ne t’appartient pas ?…

— Écoute, François, tu es an garçon intelligent…

— Non, pas exactement. Je passe pour une bête. Mais ça ne fait rien… vas toujours !

— Tu n’en es que plus fin. Ne passe pas pour bête qui veut. Je t’affirme qu’il y a des fois que je voudrais bien avoir ton air.

Ça n’est pas la peine.

— N’importe, tu comprends à merveille, qu’avec Mlle. Wagnaër j’ai une dot et une clientelle toute faite…

C’est comme si j’avais deux dots. Qu’est-ce que je dis là ?

C’est comme si j’avais sept ou huit dots. Un client en amène un autre.

Remarque bien que la clientelle que me donnera M. Wagnaër, ne comprendra pas que ses affaires à lui ; il se mêle des affaires de tout le monde, et il étend son influence à dix lieues à la ronde. Il suffit que ça soit un étranger : tu sais comme sont les habitans. Ensuite on lui doit beaucoup, et c’est bien dur de refuser quelque chose à un homme qui peut faire vendre jusqu’à notre dernière chemise. Il n’y a pas de doute qu’en les prenant ainsi par le côté sentimental, mon beau-père me ferait avoir la confiance de tous les plaideurs des environs ; et c’est justement le beau-père qu’il me faut.

Il y a un axiome qui n’est pas dans Cujas, ni dans Barthole, mais qui n’en est pas moins vrai, c’est qu’un avocat doit se marier plus en vue de son beau-père qu’en vue de sa femme. Or, il n’y a que trois espèces de beaux-pères possibles ; le beau-père avocat, le beau-père seigneur, et le beau-père gros marchand de campagne. Le beau-père avocat vous prend en soci-