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CHARLES GUÉRIN.

l’homme qu’il ne lui faut pas. C’est un esprit maladif et enthousiaste. Combien veux-tu gager qu’il ne sera jamais avocat.

— Je sais ce que c’est. Tu iras à son examen et tu le feras fumer[1].

— Quelle bêtise ! Est-ce qu’il y a des examens ? on prend deux de ses amis, qui vous disent d’avance, ce qu’ils vont vous demander ; malgré cela, bien souvent on répond de travers et on est toujours admis. Quand je te dis que le jeune Guérin ne sera jamais reçu, c’est qu’il n’ira pas jusqu’au bout de ses études. Il n’est pas tourné pour faire un prêtre, et s’il avait pris la soutane, il l’aurait déjà laissée. Il faut trop de persévérance pour cela. Je ne serais pas surpris par exemple que d’ici à trois ans, il se livrât à la médecine, au notariat, au commerce, à l’industrie, à toutes les carrières imaginables, pour n’arriver nulle part. Si tu l’avais vu découragé, au simple tableau que je lui ai fait des petites misères du métier. En cultivant ses dispositions, on parviendra à n’en rien faire du tout, de ce beau garçon-là… Mais il faut que tu te hâtes de me présenter à cette demoiselle Wagnaër. Comment est-elle d’abord ?

— Qu’est-ce que ça te fait ?

— Diantre ! qu’est-ce que cela me fait ? j’aime bien à savoir si je la trouverais de mon goût, pour jouer mon rôle comme il faut. En supposant que je ne l’aimerais pas, il faut que je paraisse l’aimer assez pour me faire aimer d’elle…

— Tu aurais bien de la bonté. C’est son père qui la marie, avocat contre clerc, ta chance ne serait pas trop mauvaise. M. Wagnaër dit toujours comme ça : qu’un je tiens, vaut mieux que deux je tiendrai : mais c’est cette terre qu’il lui faut absolument. Il a déjà acheté une quantité de lots pour faire du

  1. Fumer — rester court.