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CHARLES GUÉRIN.

peu que l’on s’en donne la peine. Là-dessus, il avait tracé un véritable plan de campagne, disposant d’avance de chaque situation, qu’il croyait bonne, étudiant et les moyens d’agir directement ou indirectement sur tous ceux qui l’entouraient, et les moyens d’attirer dans sa sphère d’action ceux qui en étaient le plus éloignés ; bien décidé à ne rien négliger, à préparer les voies des années entières, s’il le fallait, et surtout (afin de donner le change) à crier plus fort que tout autre, contre l’intrigue et contre les intrigans.

Son premier soin avait été de se mettre en rapport avec quelques personnes capables de lui procurer de petits capitaux, et déjà il pouvait venir en aide à de braves gens, soit en achetant des droits litigieux, soit en prenant sur lui la responsabilité de bonnes et grosses dettes, au moyen d’un léger escompte que triplaient à son profit les frais de poursuite. C’était principalement dans la clientelle de son patron, que Henri Voisin avait marqué d’avance ceux qui formeraient le noyau de la sienne. Les procédés les plus officieux, accompagnés des insinuations les plus adroites sur l’insouciance et les bévues de leur avocat, lui avaient déjà acquis les bonnes grâces de trois ou quatre plaideurs émérites, et d’une couple d’honnêtes marchands. Le fait est que notre homme entrait au barreau avec plus d’affaires en mains, que bien des personnes n’en peuvent montrer après deux ou trois ans de pratique. C’était cependant une faible curée pour son ambition, et loin d’être effrayé des grands intérêts confiés à son inexpérience, il ne fesait que doubler et tripler, par le désir, les honoraires qu’il allait gagner.

Le soir même où il s’était fait présenter à Charles Guérin, le jeune avocat trouva, à son retour chez lui, un personnage assez singulier qui s’était installé sans trop de façon dans sa chambre à coucher, et là fumait la pipe en attendant le maître du logis. Cet individu n’était pas autre que François Guillot, le commis de M. Wagnaër.