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CHARLES GUÉRIN.

ne cesse ensuite de vous tourmenter, jusqu’à l’heure du coucher. Cette réflexion changea un peu le cours de ses idées ; et la lettre elle-même acheva de séculariser son imagination.

Si Charles avait eu un peu de connaissance du monde, il se serait persuadé, à n’en pouvoir douter, que M. Wagnaër voulait le marier avec sa fille, et que Mademoiselle Clorinde elle-même était éprise de lui. Bien que notre jeune homme ne s’en tint pas aux bénignes interprétations de sa bonne petite sœur, il ne fit qu’entrevoir ce qu’un autre eût compris à merveille, et il se demanda seulement, s’il n’y avait pas un peu d’amour pour lui dans la grande amitié de Clorinde pour Louise. La jeune fille qu’il connaissait à peine de vue, lui apparut comme une de ces beautés andalouses, dont il avait lu, dans les romans à la mode, de si poétiques portraits. Ce fut en pensant à elle qu’il se leva, s’habilla, et, après une prière peu longue et peu fervente, fit disparaître un très frugal déjeuner, qui lui fut servi sur le coin de sa table d’étude.

La détermination bien positive de M. Wagnaër d’avoir un avocat pour gendre, lui donna du courage, et sans décider s’il mettrait de côté les antipathies de famille, auxquelles il tenait à honneur de se montrer fidèle, il se dit qu’il était toujours bon à quelque chose d’être avocat ; il se promit de suite de faire un Daguesseau ou un Merlin, et se drapant dans son manteau, il se rendit à grand pas à l’étude de M. Dumont, bien résolu à se lancer dès ce jour au plus creux du droit et de la chicane.

Devancé par tous les autres clercs, il s’empara bravement d’une déclaration très difficile à rédiger et à laquelle personne n’avait voulu mordre ; mais il n’avait pas encore parcouru la moitié des titres qu’il fallait analyser, que son imagination prit encore une fois la clef des champs, et lorsqu’après une heure de travail, M. Dumont vint regarder par-dessus son épaule, afin