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CHARLES GUÉRIN.

ment alarmé sur son avenir par les décourageantes paroles de M. Henri Voisin, il délibérait très sérieusement s’il n’allait pas laisser l’étude de M. Dumont, et entrer au grand séminaire.

Il y avait cela de peu édifiant dans ses velléités religieuses, qu’elles ne lui revenaient jamais si fréquemment que lorsqu’il se dégoûtait ou se désespérait. Ne vous imaginez point cependant que sa dévotion ne fût point sincère, qu’il regardât sérieusement l’état ecclésiastique comme un pis-aller ; mais c’est que l’homme est ainsi fait, que ses déterminations les plus vraies, ses affections les plus saintes dépendent à son insu des prédispositions de son esprit. Charles se croyait plein d’un zèle évangélique, lorsqu’il n’éprouvait pas autre chose qu’un vague enthousiasme, qui ne l’aurait pas soutenu bien loin contre les fatigues et les périls d’une mission, ou l’ennui d’un séminaire ou d’une cure. Il se croyait pénétré d’un goût bien ascétique pour la retraite, lorsqu’il ne ressentait qu’un dégoût passager, ou un penchant secret vers une capricieuse oisiveté. Le matin dont nous parlons, son imagination l’avait déjà installé dans une des modestes chambres du séminaire de Québec, au-dessus du beau jardin qui appartient à cette maison ; il se voyait figurant dans les cérémonies religieuses, revêtu d’un blanc surplis, au milieu de l’encens et des fleurs ; il se voyait régent d’une classe, il changeait la méthode d’enseignement suivie jusqu’alors, il débitait à ses élèves les plus savantes leçons sur la littérature, et sur l’économie politique ; en un mot, il bâtissait mille projets d’innovations et de perfectionnement, et il ne négligeait aucun détail, absolument comme s’il se fût déjà vu à l’œuvre.

Il en était là de sa vision quand on lui apporta la lettre de Louise ; la brusque apparition de son hôte lui rappela qu’au grand séminaire on ne lui permettrait pas de méditer aussi à son aise chaque matin, vû surtout qu’il y a là une certaine cloche, qui réveille son monde un peu avant cinq heures et qui