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CHARLES GUÉRIN.

qu’elle est ; mais avant de la réformer, nous autres jeunes gens, il faudrait…

— Voyons, il faudrait quoi ?

— Il faudrait inventer un moyen de ne pas mourir de faim. Disons tout le mal que nous voudrons de ceux qui nous ont précédés dans la vie, mais convenons qu’ils ne sont pas morts de faim. C’est un grand point.

— Oui, ils nous ont laissé cela.

— Fameuse preuve de leur habileté !

— Ou de leur égoïsme.

— Ou de leur imprévoyance.

— Ou de tous les deux à la fois.

— Ce sera la preuve de tout ce que vous voudrez, mais c’est encore un fait. Comment diable voulez-vous gagner votre vie avec les professions dans l’état où elles sont ? Tout le monde n’a pas le courage de faire comme le frère de monsieur, de mettre à la voile.

— Je croyais, moi, que le barreau était une excellente carrière ; vous avez dû partager cette opinion, puisque vous avez été jusqu’au bout de vos études, et que vous venez d’endosser la toge ?

— Si je crois cela ? Eh ! bon Dieu, demandez à tous les autres, s’ils le croient ! Chacun sait parfaitement à quoi s’en tenir là-dessus, mais chacun se considère comme une exception. On fait force jérémiades sur l’encombrement des professions : et c’est absolument comme le sermon du curé ; on applique tout aux autres, et l’on ne garde rien pour soi. Au commencement de mes études, je savais bien qu’il n’y avait guère de place à se faire, mais je pensais qu’il y en aurait toujours pour un petit phénix comme moi. Il y a à peu près quinze jours que je suis détrompé ; si c’était à commencer, je ne sais pas au juste ce que je ferais ; mais je sais très bien ce que je ne ferais pas.