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CHARLES GUÉRIN.

dant ce n’est que du sentimentalisme. Que nous importe ce que seront nos petits enfants après tout ? L’essentiel, c’est le bien-être matériel de la génération présente. Croyez-vous que nous y gagnions beaucoup à nous isoler, et que si nous étions anglifiés, complètement anglifiés, nous serions maltraités comme nous le sommes ? Voyons… là… de bonne foi… pourquoi les anglais nous maltraîteraient-ils, si nous étions des anglais comme eux ?

— Mon cher monsieur, je viens vous interroger à mon tour. Est-ce que vous pensez que nos habitans s’anglifieraient à volonté ? Pensez-vous qu’il n’y aurait qu’à dire : anglifiez-vous, et que demain, ils parleraient anglais, cultiveraient à l’anglaise, voyageraient à l’anglaise ?

— Non, c’est bien certain, mais cela viendrait petit à petit. Il faudrait commencer par la haute classe, et puis la classe instruite, et puis la classe moyenne, et puis, la basse classe, et enfin tout le monde. Ça serait l’œuvre de cinquante années tout au plus.

— Et en attendant, que deviendrait la basse classe sans la protection de la classe instruite ? Quel lien aurait celle-ci à celle-là, et pour quelle raison voudriez-vous que nos gens instruits une fois anglifiés, ne s’alliassent point avec les nouveaux venus, pour exploiter le pauvre peuple ? Pensez-vous qu’il y aurait beaucoup de sympathie entre l’homme de profession anglifié, et nos habitans ?

— Bravo, mon cher Guérin, bravissimo ! C’est précisément cela. C’est ce qui est arrivé à notre noblesse d’autrefois. Aussi est-elle tombée ; et dans l’opinion des gouvernans, pour qui elle n’avait de valeur qu’en autant qu’elle représentait une nationalité, et dans l’opinion du peuple qui, la voyant elle, fière et opulente envers lui, ramper aux pieds du pouvoir, dans l’ignorance et les excès, l’a énergiquement flétrie du nom de noblaille, tout comme il aurait dit valetaille. Il y a une nou-