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CHARLES GUÉRIN.

connaissaient éprouvaient pour lui une sorte de vénération. Dans tous les cas, peu lui importait ce que l’on disait de lui. Autant il respectait les préjugés du vulgaire dans ce qui lui semblait juste et utile (car il y a de bons comme de mauvais préjugés), autant il se plaisait à les braver dans ce qu’ils ont de funeste.

La conversation des trois jeunes gens ne tarda pas à se reporter sur la politique du pays, en particulier, et sur la politique du monde entier en général. De quinze à vingt ans nos compatriotes sont tous plus ou moins des hommes d’état. Il y en a très peu, par exemple, qui le sont dans un âge plus avancé.

Quel dommage que tous ces précoces dévouemens ne puissent être utilisés ? Quel malheur que les pulsations ardentes et rapides de tous ces jeunes cœurs se ralentissent et se refroidissent si vite au contact de la vie réelle !

Oh ! de quinze à vingt ans, que l’âme est noble et pure ! Qu’alors on aime bien son pays sans la moindre arrière-pensée ! Pourquoi faut-il que l’on manque de puissance alors que la volonté est si forte, et pourquoi, si rarement conserve-t-on la volonté lorsque le pouvoir nous est venu ?

De quinze à vingt ans on ne sait encore rien des dégoûtantes vérités de ce monde ; on n’a pas encore vu l’intrigue, cette impudente araignée, filer et nouer sa toile hideuse, sur ce qu’il y a de plus saint et de plus vénérable ; on ne connait encore ni les mots qu’il faut dire pour ne rien dire, ni le lâche silence plus dangereux que la parole ; on ne sait encore ni le prix que l’on doit offrir pour acheter ses ennemis, ni celui que l’on doit exiger pour vendre un ami ; on ne sait encore ni nier publiquement ce que l’on affirme privément, ni inventer les scrupules du lendemain, hypocrites expiations des fautes de la veille ; en un mot, de quinze à vingt ans… on manque d’expérience. C’est du moins ce que disent les vieilles prostituées politiques, et ce que répètent après elles, les roués qui se forment à leur école.