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CHARLES GUÉRIN.

délicates allusions aux lauriers que Charles avait cueillis au collège, et aux succès beaucoup plus grands qui, disait-il, l’attendaient dans le monde, que le jeune étudiant de première année se crut pour tout de bon l’objet de l’admiration et des sympathies de toute la ville, et qu’il sut en même temps un gré infini à celui qui venait ainsi lui révéler son importance.

L’ami officieux qui s’était chargé de présenter monsieur Voisin à monsieur Guérin, se nommait Jean Guilbault. C’était un étudiant en médecine de seconde année, dont Charles avait fait son Pylade depuis cinq ou six semaines qu’il le connaissait. Fort heureusement, Jean Guilbault était un brave et loyal garçon, qui justifiait pleinement la confiance et l’amitié qu’on lui avait accordées si volontiers pour ne pas dire si légèrement. Il y avait même plus, Jean Guilbault était un de ces jeunes gens rares, très rares, qui, au milieu de la licence générale, ont le courage de proclamer des principes sévères, et, ce qui vaut encore mieux, le mérite d’en faire une application constante. Gai, spirituel, enjoué, tant qu’il ne s’agissait que de choses permises, le jeune Esculape devenait intraitable, du moment que l’on se permettait quelque plaisanterie sur la religion, sur la morale, ou sur ce qu’il appelait ses convictions politiques. Il poussait jusque dans les détails les plus minutieux, jusque dans les choses les moins importantes en apparence, les conséquences rigoureuses de ses croyances sociales. Ainsi, persuadé que les liqueurs brûlantes et les draps brûlés que l’Angleterre nous vend au plus haut prix possible, contribuent à notre décadence et matérielle et morale, l’excellent jeune homme ne buvait absolument que de l’eau ou de la bière indigène, et il s’habillait de la tête aux pieds d’étoffes manufacturées dans le pays. Sa belle taille et sa figure intéressante rachetaient pleinement ce que sa toilette pouvait avoir d’étrange. Il pouvait passer pour excentrique aux yeux de ceux qui ignoraient les motifs de sa conduite ; ceux qui les