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CHARLES GUÉRIN.

extrême jeunesse pour changer de route du moment où il serait persuadé que celle qu’il suivait provisoirement ne lui convenait pas. Comme ses moyens ne lui permettaient guères de faire autrement, il prit pension dans une honnête famille d’ouvrier, où on lui donna pour tout logement la petite chambre que vous savez.

Il y avait déjà près d’une heure que Charles était arrêté sur la même page de son livre, poursuivant dans son imagination des milliers de ces séduisans fantômes, que la moindre des choses suffit pour évoquer à l’âge de seize ou dix-sept ans, et que la prose poétique de Châteaubriand plus que toute autre chose peut faire surgir en foule ; lorsque la porte de la chambre s’ouvrit assez brusquement pour laisser entrer deux jeunes gens.

Tu m’excuseras, mon bon Charles, dit l’un d’eux, si je viens te troubler dans tes études ; mais il y a longtemps que j’ai promis à M. Henri Voisin, de lui procurer le plaisir de ta connaissance. En passant dans la rue nous avons vu de la lumière à ta lucarne, et j’ai pensé que l’occasion était bonne. M. Voisin vient justement d’être reçu avocat ; c’est un de mes amis, il aime passionnément la littérature, et il est bon patriote. Ce sont deux points sur lesquels vous sympathiserez.

Celui qui aurait pu examiner notre héros dans ce moment, aurait vu dans sa contenance embarrassée la réaction extérieure d’une vanité satisfaite au-delà de tous ses désirs. C’était pour lui un événement tellement flatteur et inattendu que d’être ainsi recherché sur réputation, par un monsieur qui venait d’entrer au barreau, qu’il avait peine à y croire. Il craignit même un instant d’être la dupe d’une mystification.

Cependant, monsieur Voisin parut tellement enchanté de faire la connaissance de monsieur Guérin ; il se montra si bien au fait de l’histoire de sa famille, il lui parla avec tant d’intérêt, et de son frère, et de sa mère, et de sa sœur, il fit de si