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CHARLES GUÉRIN.

mère, que la piété de la digne femme comprima bien vite, n’en causa pas moins dans les idées de Charles une réaction bien forte. Ce fut comme une lumière subite qui lui découvrit dans son propre caractère, dans ses projets, dans ses rêves même les plus purs et les plus saints, dans la nature de son enthousiasme religieux, bien des choses qui ne s’accordaient que très peu avec la régie sévère et les calmes vertus de l’état ecclésiastique ; il se dit à lui-même que les circonstances dans lesquelles il se trouvait, quoique pures affaires temporelles, entraient peut-être dans les vues de la providence, qu’elles étaient par elles-mêmes comme un avertissement céleste, qui le prémunissait contre une démarche inconsidérée ; enfin il en vint à douter plus que jamais de sa vocation. Dire les tourmens qu’il souffrit, les nuits de prières et de larmes qu’il passa, les scrupules aigus et minutieux qu’il dût repousser, les pensées et les projets les plus dangereux, qu’il dût combattre, ce serait dire ce qui ne pourrait être compris que de quelques pauvres enfans qui ont eux-mêmes subi de semblables épreuves. Enfin il se détermina à consulter une autre personne que celle qui l’avait dirigé jusqu’alors, un prêtre âgé et savant, qui lui conseilla de ne pas entreprendre de décider dans quelques jours le sort de sa vie entière, et de rester au moins quelque temps dans le monde avant que d’y renoncer. Le saint homme pensait avec raison, que renoncer à ce que l’on ne connaît pas encore, c’est s’exposer à désirer ardemment par la suite, ce qu’il nous est défendu de connaître. Cet avis charitable était un trop grand soulagement aux inquiétudes et aux souffrances de notre jeune homme pour qu’il se le fît donner à deux fois. Il fut donc convenu qu’il donnerait un sursis d’un an au grand procès qui s’instruisait au fond de sa conscience. Comme il fallait faire quelque chose en attendant, il passa un brevet chez un avocat, tout comme il en aurait passé un chez un notaire, ou chez un médecin, se reposant sur son