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CHARLES GUÉRIN.

Je vous aime, j’aime Louise et Charles, j’aime mon pays, et si j’y puis revenir, pour être utile à tout ce que j’aime au lieu de leur être à charge, je le ferai.

« Avant de finir, comme je pars, vous me permettrez, de même qu’on le permet aux mourans, quelque soit leur âge ou leur condition, vous me permettrez de vous donner quelques conseils. D’abord je vous prie en grâces de ne jamais envoyer Louise à Québec, et de ne pas la lancer sans protection dans ce qu’on appelle le beau monde. Je n’ai pas la moindre envie qu’elle figure parmi cet essaim de jeunes évaporées, qui papillonnent autour des officiers de la garnison. Je vous demande pardon, ma bonne maman, de vous dire de pareilles choses, mais je dois mettre votre orgueil de mère en garde contre la tentation que vous éprouverez peut-être bientôt, de faire briller votre fille.

« Quant à Charles, vous ne le contredirez pas, je vous en prie. Il veut être prêtre, et il doit l’être, puisque Dieu l’appelle à cet état. Je sais bien que moi parti, et Charles dans les ordres, il ne reste plus personne pour relever le nom de mon père, pour soutenir la famille ; mais enfin, les familles doivent avoir une fin, comme les hommes et les peuples, et il ne faudrait pas pour des raisons semblables, faire le malheur de Charles. Je vous avoue cependant que j’ai eu mes doutes sur la vocation de mon frère. C’est à lui d’y penser, et très probablement que mon départ l’engagera à réfléchir sérieusement. Je lui ai déjà dit en riant ce que j’en pensais ; il se peut bien que je me trompe : dans tous les cas, il ne fera pas mal de se rappeler ce que je lui ai dit.

« Encore un mot. Ne vous obstinez pas, ni vous, ni Charles, à lutter contre M. Wagnaër. Cet homme est plus puissant que vous ; il vous broierait dans un instant. S’il vous offre un prix raisonnable pour la terre, vendez-la. C’est le dernier article de mon testament.