Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
CHARLES GUÉRIN.

pour aller faire cette espèce d’apprentissage ; je n’ai pas pu trouver de situation. Ainsi que voulez-vous que je fasse ? je vous le répète ; je ne veux être ni prêtre, je n’en aurais pas le courage, et c’est assez de Charles, qui se dévoue à cet état ; ni médecin, cela m’irrite les nerfs rien que d’y penser ; ni avocat, ce n’est plus un honneur ; ni notaire, c’est par trop bête. Aucune de ces professions ne convient à mon caractère et à mes goûts.

« Une autre chose, c’est le dédain profond que paraissent éprouver tous les jeunes gens, pour tout ce qui n’appartient pas à l’une des quatre inévitables professions. J’avais l’idée de m’engager dans un des chantiers où l’on construit les vaisseaux à St. Roch ; j’en ai parlé à un de mes compagnons de classe, dont le père est lui-même un pauvre journalier, qui travaille dans ces chantiers ; eh ! bien, il m’a presque fait rougir de mon projet. Il me semble pourtant que ce serait une belle carrière. Il y a de ces constructeurs de vaisseaux qui sont plus riches que tous les hommes de profession que je connais ; et la société anglaise, qui est pourtant assez grimacière de sa nature, ne leur fait pas trop la grimace. Mais quand j’ai vu mon ami, qui ne sort pas de la cuisse de Jupiter, croire déroger, s’il fesait autre chose qu’étudier le droit ; je me suis demandé ce que diraient à plus forte raison ceux qui ont des parents comme les miens…

« C’est bien triste pour le pays qu’on ait de semblables préjugés. Cela nous mène tous ensemble à la misère. Le gouvernement nous ferme la porte de tous ses bureaux, le commerce anglais nous exclue de ses comptoirs, et nous nous fermons la seule porte qui nous reste ouverte, une honnête et intelligente industrie. Tandis qu’il faudrait toute une population de gens hardis jusqu’à la témérité, actifs jusqu’à la frénésie, vous rencontrez à chaque pas des imbéciles, qui rient de tout, qui se croient des gens très supérieurs, lorsqu’ils ont répété un tas de