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CHARLES GUÉRIN.

leurs comme cette lettre vous est adressée, Charles vous la portera tout droit, j’en suis sûr. Il ira bien vite ; mais je suis certain qu’il n’en lira pas une ligne avant de vous l’avoir remise.

« Le vent de nord-est qu’il a fait tous ces jours-ci souffle bien moins fort ce soir. Il fera justement une bonne petite brise demain pour louvoyer, à ce que dit le capitaine. Je suis bien aise qu’il fasse mauvais. Je souffrirais trop en passant devant la maison paternelle, s’il fesait un beau soleil, et si je voyais toute la côte avec sa belle toilette d’automne. J’espère bien que les brumes cacheront toute la campagne.

« Charles m’a conduit d’abord chez M. Wilby, et, quelque préjugé que j’aie contre lui, je dois vous dire qu’il a fait son possible pour me procurer une situation. Il n’y en avait pas de vacante dans son bureau ; mais il a pressé et sollicité presque tous les marchands en gros de sa connaissance, et cela inutilement. Les uns n’avaient pas de place à donner, les autres attendent des neveux, et des cousins, et des petits cousins, et des cousins de leurs amis, ou de leurs correspondants en Angleterre ou en Écosse ; enfin je n’ai pu trouver de place nulle part. Quand j’ai vu cela, j’ai été sur le point d’écouter Charles, qui voulait bon gré mal gré me faire passer un brevet chez M. Dumont, ce vieil avocat, ami de notre père, à qui vous nous aviez recommandés ; mais je me suis convaincu de plus en plus que ce n’était pas mon état. Mon état à moi, ce n’est pas de sécher sur des livres, de végéter au milieu d’un tas de paperasses ; c’est une vie active, créatrice, une vie qui ne fasse pas vivre qu’un seul homme, une vie qui fasse vivre beaucoup de monde, par l’industrie, et les talens d’un seul. C’est à peu près l’inverse de la vie officielle, où l’industrie et les travaux de beaucoup de gens font vivre un seul homme à ne rien faire. Je voudrais du commerce et de l’industrie ; non pas du commerce et de l’industrie, par exemple, à la façon de notre voisin, M. Wagnaër. Dévorer comme un vampire toutes les ressour-