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CHARLES GUÉRIN.

et ne trouvaient pas d’eau, quoiqu’il y en eût un grand pot sur la table tout près d’elles.

Charles aidé d’une servante, porta sa mère sur un lit, et avec quelques soins, elle revint par degrés.

— Est-ce bien vrai ? Comment as-tu donc fait ?…

— Maman je sais que vous allez beaucoup me gronder : mais c’est qu’il m’avait ensuite promis qu’il ne partirait pas ?…

— Malheureux tu savais tout !…

Ces mots restèrent comme une malédiction sur les lèvres entr’ouvertes de madame Guérin ; plus pâle que jamais elle perdit de nouveau connaissance. Puis, bientôt son visage se colora, ses yeux s’animèrent, elle s’assit sur le lit, les poings fermés convulsivement et les dents serrées. Le délire s’emparait d’elle.

— Caïn, cria-t-elle d’une voix sourde et brève, Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ?

— Maman, maman… ayez donc pitié de ce pauvre Charles, voyez, il-est à moitié mort, il est à genoux, il sanglotte. Nous allons tous mourir !

La mère n’entendait pas.

— Ramez donc, dit-elle, vous ne ramez pas vous autres… le vaisseau fuit si vite.

Les deux enfans prirent chacun une de ses mains dans leurs mains, leurs yeux se rencontrèrent, un doute terrible s’échangea dans leurs regards. Un nouveau malheur pire que le premier venait-il les écraser ? L’aliénation mentale, cette hideuse fosse, dans laquelle la douleur fait si souvent trébucher la raison humaine, venait-elle de s’ouvrir et de se refermer sur une nouvelle victime ? N’osant se dire ce qu’ils pensaient, ils appuyèrent la tête de la malade sur son oreiller, ils restèrent longtemps à l’observer, immobiles. Elle ne parlait plus, elle semblait dormir ; le sang se portait rapidement et comme visiblement au cerveau ; les yeux étaient fixes, les pieds et les mains froids, la peau du visage sèche et brûlante.