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CHARLES GUÉRIN.

dame Guérin. Elle remarqua que la figure de Charles était dans un aussi grand désordre que ses vêtemens ; que, si ses hardes ruisselaient l’eau et étaient toutes souillées de boue, son visage était pâle, ses lèvres contractées, ses yeux hagards, et que toute sa personne, en un mot, trahissait le plus grand embarras, la plus vive agitation.

— Alors, vous me trompez, dit-elle d’un air sévère ; puis adoucissant sa voix : mon Dieu ! Charles, tu viens nous apprendre quelque malheur ; et tu voulais nous faire prévenir par le curé. Voyons, cette lettre est pour moi, n’est-ce pas ?

Le jeune homme ne répondait rien.

— Monsieur, je vous ordonne de me remettre cette lettre… Je suis votre mère, je crois, et vous avez coutume de m’obéir.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant ce temps l’oncle Charlot s’était emparé du cheval et de la voiture, et les avait conduits à l’écurie. L’écolier tout tremblant, était entré dans la maison presque sans s’en appercevoir ; on avait refermé la porte sur lui. Il se trouvait debout près d’une table ; en face de sa mère et de sa sœur. Il vit alors sur le visage de ces deux femmes tant d’anxiété et de souffrance qu’il fit son sacrifice, tira silencieusement la lettre d’une des poches de son capot, et la donna à Louise, des mains de laquelle madame Guérin l’arracha si brusquement que la pauvre enfant resta toute confuse.

— Ah ! c’est l’écriture de Pierre ; c’est tout ce qu’il me faut… Mais à peine eût-elle fait sauter le cachet et lu les premières lignes qu’elle pâlit et se laissa tomber sur une chaise. Charles gardait l’attitude d’un criminel qui attend sa sentence. Louise, Louise ! s’écria tout-à-coup la pauvre mère, Louise… Charles… je vais mourir. Il est parti ! de l’eau, vite, vite, de l’eau… je vais mourir… Mon Dieu !…

Et elle s’évanouit.

Louise et toutes les autres personnes couraient de tous côtés