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CHARLES GUÉRIN.

et que la mort l’avait empêché de voir fleurir. Chaque année l’époque de leur floraison est pour moi une solennité, une fête funèbre et religieuse ; c’est un mélancolique souvenir qui renaît et fleurit tous les ans et exhale les mêmes pensées avec son parfum.

« Mais quel triste privilège a donc l’homme entre tous les êtres créés, de pouvoir ainsi par le souvenir et par la pensée suivre ceux qu’il a aimée dans la tombe et s’y enfermer vivant avec les morts !

« Quel triste privilège ! Et quel est celui de nous qui voudrait le perdre ! Quel est celui qui voudrait oublier tout-à-fait ! »

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Ceux qui n’ont vu à Québec que les dernières invasions du choléra auront peut-être quelque peine à croire à la description que nous avons faite de ses ravages en 1832. Le tableau suivant montre qu’il a fait son apparition de plus en plus tardive, et a diminué chaque année d’intensité, dans des proportions tout-à-fait rassurantes.

1832, commencé le 9 juin, total des décès, 3,300.
1834, 7 juillet, 2,500.
1849, 2 juillet, 1,180.
1851, 28 août, 280.
1852, 26 septembre, 145.


F. — Page 382.


Beaucoup de nos lecteurs ont trouvé que nous avions exagéré les fautes de langage que commettent nos habitans. Nous ne sommes point fâchés de cette exagération, en admettant qu’elle existe dans notre livre, car tel qu’il y est représenté, le langage des canadiens les moins instruits serait encore du français et du français meilleur que celui que parlent les paysans des provinces de France où l’on parle français. On ne saurait trop admirer la sottise de quelques touristes anglais et américains qui ont écrit que les canadiens parlaient un patois. Le fait est que, sauf quelques provincialismes, quelques expressions vieillies mais charmantes en elles-même, le français des Canadiens ressemble plus au meilleur français de France que la langue de l’Yankee ne ressemble à celle de l’anglais pur sang. Il est arrivé au Canada absolument la même chose qu’aux États-Unis ; les habitans des diverses provinces de la mère-patrie ont fondu ensemble les particularités de langage et d’accent de leur pays et il en est résulté un moyen terme qui diffère un peu de tous ces accents divers ; mais qui se rapproche plus qu’aucun d’eux de la prononciation admise pour correcte par les hommes instruits des grandes villes Européennes. Telle est du moins l’opinion de plusieurs voyageurs français, parmi lesquels il se trouve au moins un académicien, le célèbre M. Ampère, qui doit certainement y entendre quelque chose ; autant peut-être que messieurs les touristes anglais et américains.

Parmi les expressions pittoresques que Madame Sand a mises dans la bouche des paysans du Berry dans ses délicieux romans François le Champi et la Petite Fadette, il s’en trouve beaucoup qui sont familières aux canadiens.

La classe lettrée parmi nous a peut-être, proportion gardée, plus de blâme à recevoir sous le rapport du langage que les classes inférieures. Outre qu’elle ne soigne pas toujours autant la prononciation qu’elle devrait le faire, elle se rend aussi coupable de nombreux anglicismes. La classe ouvrière des villes a adopté un bon nombre de termes anglais, dont elle paraît avoir oublié les équivalens français. Un vocabulaire de ces expressions serait une œuvre utile et vraiment nationale.

Dans les collèges, on ne soigne peut-être pas assez dans la pratique la prononciation des élèves. On y redoute tant l’affectation, que l’on tombe souvent dans l’excès contraire. Ce serait une réforme à ajouter à celles que l’on a adoptées depuis l’époque où l’abbé Holmes, que nous avons eu la douleur de perdre dernièrement, avait entrepris la régénération de notre système d’éducation collégiale.

Au reste, l’instruction publique a pris depuis quelques années un développement incontestable. Nous avons même les rudimens d’une littérature, à laquelle on ne manquera pas de nier toute originalité et toute couleur locale, parcequ’elle sera tout bonnement française au lieu d’être iroquoise ; parcequ’elle s’avisera de parler d’autre chose que des sauvages ; parcequ’enfin, elle ne sera pas un éternel pastiche comme