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CHARLES GUÉRIN.

des plus anciennes et sans contredit la plus historique du continent américain, ont ajouté chaque fois à son importance et qu’elle a déjà su renaître plusieurs fois de ses cendres.

Elle a soutenu trois sièges avec bombardement, deux grandes famines, quatre grands incendies qui ont failli la détruire, des épidémies fréquentes, des accidens affreux comme l’éboulis d’une partie du cap aux Diamans en 1841, comme le feu du théâtre St Louis en 1846 où plus de 40 personnes périssaient dans les flammes, et il ne lui manquera que de sauter l’un de ces jours par l’explosion de quelqu’une des poudrières qui se trouvent dans son enceinte, comme cela aurait fort bien pu arriver en 1845 !

En attendant, elle fait des progrès qui seraient remarqués partout ailleurs qu’en Amérique.

Depuis 1845, Québec s’est donné l’éclairage au gaz, un aqueduc dont la construction est complétée depuis quelques jours ; les principales rues des faubourgs ont été élargies ; ces faubourgs eux-mémes ont été rebâtis en pierre et en brique ; un palais archiépiscopal et deux nouvelles églises paroissiales, celles de St Jean et de Saint Sauveur, plusieurs nouvelles chapelles protestantes dont quelques unes sont d’un fort bon goût, le vaste couvent des Sœurs de la Charité, surmonté d’un dôme et d’une flèche qui se verront de loin, l’achèvement du palais législatif qui donne à Québec au moins un édifice complet et régulier, quoiqu’il ne soit peut-être pas aussi beau qu’il devrait l’être ; enfin le nouveau théâtre de la rue St Louis et un grand nombre de boutiques et de résidences particulières élégantes, dans l’intérieur de la ville, ont déjà bien changé la ville que nous avons décrite il y a sept ans environ.

Cela n’empêche pas que les Montréalistes ne considèrent toujours les Québecquois avec un certain air de protection narquoise et ne lèvent les épaules de pitié devant les progrès à pas de tortue, disent-ils, de l’ancienne capitale, et cela, quelquefois avec raison ; mais souvent bien à tort

C’est quelque chose de très singulier à étudier que la rivalité qui existe entre ces deux villes et les contrastes qu’offrent le caractère, les mœurs et les manières de leurs habitans. Il y a là une antipathie vieille et incurable comme celle de Rome et de Carthage, quoique pas aussi épique.

Disons de suite que cette antipathie n’a pas empêché les Montréalistes[1] de venir noblement et généreusement au secours des Québecquois lors des désastreux incendies de 1845 et que ces derniers en ont fait autant à l’occasion du malheur également terrible qui a dernièrement affligé Montréal. Mais il y aura toujours affectation de supériorité d’une part, et jalousie de l’autre.

Montréal tranche tout-à-fait de la grande ville, de l'Empire-city, comme on dit aux États-Unis, et s’énorgueillit avec raison de ses immenses progrès matériels. Sa population est d’une quinzaine de mille âmes plus considérable que celle de sa rivale, mais si les Foulons et Boisseauville étaient compris dans les limites officielles de Québec, comme ils devraient l’être, la différence se réduirait à peu de chose[2].

Les édifices publics ont été construits à Montréal avec beaucoup plus de goût et de magnificence qu’à Québec. Notre-Dame, vaste église dans le genre gothique-normand, les banques, les hôtelleries, la belle église de St. Patrice, le collège des Jésuites nouvellement érigé, l’immense Marché-Bonsecours, le nouveau palais de justice l’emportent de beaucoup sur les édifices correspondans à Québec. Quelques Montréalistes s’exagèrent parfois ces avantages, au point de représenter la capitale aux voyageurs, comme un endroit qui mérite à peine qu’on le visite. Lorsqu’il ne se laisse pas détourner par ces mauvais conseils, l’étranger rendu à Québec ne peut se lasser d’admirer l’aspect pittoresque de cette vieille ville française, les beautés du paysage qui l’environne de tous côtés et surtout sa citadelle, unique sur ce continent.

  1. On devrait peut-être dire Montréalais ; mais Montréaliate est le terme usité dans le pays. Québecquois a été reçu de tout temps et va très bien avec Iroquois et avec Canadois que l’on trouve dans les vieilles narrations.
  2. D’après le recensement de cette année, Québec a 42,052 habitans et Montréal 57,715. Les Foulons et Boisseauville contiennent de 7 à 8,000 âmes.