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CHARLES GUÉRIN.

À la Louisiane, par cela même qu’elle n’a pas été persécutée, il manque à la nationalité française, un élément indispensable à toutes les nationalités comme à toutes les religions, il lui manque la foi. Les Louisianais ont dans le principe fait bon marché de leur langue et n’ont pas insisté à ce qu’elle fût reconnue officiellement dans leurs rapports avec le gouvernement fédéral ; ils l’ont même laissé proscrire du sein de leur législature.

À la Louisiane, la race anglo-saxonne ne s’est point présentée à la race française en ennemie et en conquérante ; celle-ci gardait rancune à la France de l’avoir abandonnée une première fois à l’Espagne, vendue une seconde fois aux États-Unis. La lutte nationale a été plutôt sociale que politique : les deux races cependant ne se sont pas mêlées. Québec et Montréal sont des villes mixtes, moitié françaises, moitié anglaises ; mais c’est pour bien dire une moitié indivise. À la Nouvelle Orléans, il y a deux villes, la ville française et la ville anglaise.

Là-bas on paraît ne croire qu’à demi à la nationalité ; ici on y croit plus que jamais. Les Canadiens-français se sont attachés à leur religion, à leur langue, à leurs institutions, à proportion des efforts que l’on a fait pour leur arracher toutes ces choses qui beaucoup plus que le sol forment la patrie.

Doivent-ils les conserver toujours ou du moins longtemps encore ! Problême difficile à résoudre et que les voyageurs et les hommes d’état ont envisagé sous des faces bien opposées !

Le fait de l’accroissement extraordinaire de notre population, les nombreuses réformes sociales qui se sont introduites depuis quelques années parmi nous, les développemens que prend la colonisation des terres incultes par des hommes de notre race, nos progrès sûrs quoique lents dans le commerce, l’industrie et la littérature, la réaction nationale qui s’est faite depuis lunion, malgré lunion et plutôt à cause de l'union, l’admission successive d’un grand nombre de nos compatriotes dans les fonctions gouvernementales, devraient empêcher de désespérer aujourd’hui ceux qui n’ont pas désespéré aux plus mauvais jours de notre histoire.

Une sage modération dans la direction de l’esprit national, un respect pour les préjugés des autres égal à celui que nous réclamons pour nos propres croyances, une application constante à faire tourner la rivalité des deux races qui habitait ce pays à leur avantage commun, en la transformant en une louable émulation dans la carrière des sciences, des arts et de l’industrie, parviendront peut-être à faire aimer aux autres nationalités la nôtre que l’histoire leur a déjà appris à respecter.

Individuellement nous n’avons rien à perdre, collectivement nous avons tout à gagner, à conserver avec soin un drapeau, un signe de ralliement.

D’ailleurs, la Providence ne fait jamais rien en vain. Ce n’est pas en vain que nos pères, soldats et martyrs, ont arrosé cette terre de leur sang, ce n’est pas en vain qu’une poignée d’hommes luttant contre tous les désavantages possibles s’est accrue si rapidement ; ce n’est pas en vain qu’ils ont combattu si longtemps, si courageusement et sous tant de formes ; ce n’est pas en vain que nos compatriotes pionniers de la civilisation ont parcouru le désert, que nos missionnaires à l’heure présente évangélisent les nations de l’occident et peuvent se dire, comme au temps des Brebœuf et des Lallemand, avec un saint et noble orgueil : gesta Dei per Francos !


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Les chants nationaux d’un peuple jouent un grand rôle dans son existence. Il est rare qu’ils ne s’harmonisent pas entièrement avec son caractère. Cependant l’adoption d un chant national comme le chant officiel d’une nation tient quelquefois à de biens petites circonstances. Il s’en est fallu de bien peu qu’une chanson et un air composé, pour se moquer d’eux, Yankee doodle, ne soient devenus l’hymne officiel des Anglo-Américains. Heureusement qu’ils y ont substitué Hail Columbia !

À la Claire Fontaine, cette belle chanson de nos voyageurs que nous avons adoptée avec tant de bonheur pour notre chant national, est empreinte à la fois de gaîté et de mélancolie. Rien comme elle ne doit faire battre le cœur d’un canadien à l’étranger, car elle touche les deux fibres les plus délicates de la nature humaine : elle rappelle dans ce qu’elle a de gai, les joies de la patrie absente, dans ce qu’elle a de triste, les douleurs de l’exil. Il semble en l’entendant, sentir comme nos pères le canot d’écorce glisser sous l’impulsion de l’aviron rapide sur notre large et paisible