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CHARLES GUÉRIN.

Louisiane contient actuellement une population de 324,000, sur lesquels il y a la moitié environ de français presque tous descendans des anciens canadiens. La vallée du Mississipi et les plaines de l’Ouest contiennent des groupes nombreux et importans d’anciens colons français ou d’émigrés canadiens. L’état d’Illinois en possède des établissemens considérables, tels qu’Aurora et Bourbonnais. Le Minesota a été originairement peuplé par des canadiens et une très forte proportion de sa popula tion est encore canadienne.[1] Plus loin dans l’Ouest et sur le territoire britannique les missions du diocèse de Saint Boniface de la Rivière Rouge comptent une population moitié canadienne, moitié sauvage (bois-brûlés) qui ne parle que le français. L’état de New-York, le Maine, le Vermont, le Massachusetts contiennent dans les manufactures et dans les villes des populations canadiennes qui, sur plusieurs points, commencent à se rallier et qui, à New-York, à Albany, à Troy et dans plusieurs petites villes ont formé des sociétés St Jean-Baptiste et chôment la fête patronale. Ce n’est pas exagérer que d’estimer les populations franco-canadiennes répandues aux États-Unis à 100,000 âmes. L’abbé Chiniquy qui connaît parfaitement ces populations les estimait au delà de ce chiffre en 1849 et elles n’ont pu qu’augmenter considérablement depuis. Le territoire du Nord-Ouest et le reste du continent américain à l’Ouest contiennent au moins 10,000 descendans des canadiens. D’un autre côté le Nouveau Brunswick, le Cap Breton, l’Isle du Prince Edouard et la Nouvelle Écosse ont encore les restes des acadiens et aussi des émigrés canadiens que l’on trouve partout. M. Howe nous disait dernièrement qu’il estimait à douze ou quinze mille âmes la population acadienne de la Nouvelle Écosse. Il y a trois acadiens dans leur parlement, M. Bourneuf, M. Comeau, et M. Martel, et l'un d’eux comprend à peine l’anglais. D’après des renseignemens que nous nous sommes procurés, les populations acadienne et canadienne de toutes les provinces inférieures s’élèvent à environ 40,000 âmes.

De tout cela on peut conclure en toute sûreté que les descendans des 80,000 français forment actuellement un million d’hommes, et il n’y a pas un siècle qu’ils ont été séparés de la France.[2] Ils ont doublé trois fois et quatre cinquièmes de fois de 1769 à 1862, c’est-à-dire un peu moins que tous les 24 ans.

Ce million lui-même disséminé, comme il l’est parmi les 24 millions de la république Américaine et les deux millions et demi de l’Amérique anglaise, peut paraître insignifiant aux yeux de l’économiste et du diplomate. Il ne l’est certainement pas aux yeux de l’historien, du philosophe, du poëte et du moraliste.

La France avait jeté les germes de trois nationalités françaises distinctes sur le sol de l’Amérique : si elle ne les eût pas abandonnées, trois filles, braves, belles et fières comme elle, les nations Canadienne, Acadienne, et Louisianaise lui auraient bientôt tendu la main par delà les mers.

L’Acadienne, comme ces vierges de l’antiquité que le ravisseur allait enlever jusqu’au pied des autels, a été arrachée à ses temples et à ses foyers et emmenée captive dans une terre lointaine. Des deux autres, l’une a été traitée longtemps en esclave dans son propre pays, et l’autre affranchie trop jeune s’est prostituée aux caresses de l’étranger : elle est la seule qui ait renié un jour sa mère et le doux langage appris à son berceau.

Aux deux extrémités de l’Amérique du Nord deux masses très importantes, deux nationalités distinctes tranchent encore sur l’immense mosaïque des populations de toute langue, de toute origine et de toutes croyances qui viennent s’absorber dans une même masse, dans une même existence sociale, dans une même nationalité anglo-américaine.

  1. La Législature du Minesota sur 16 membres contient trois canadiens-francais, tous trois natifs des environs de Montréal. Les noms de presque toutes les rivières des lacs et des villages sont français. Il y a un district qui s'appelle le Petit-Canada. Le plus ancien et un des plus riches habitans du territoire est M. Faribault, frère de notre estimable bibliographe. V. Seymour. — The Minesota or the New-England of the West New-York, 1850.
  2. L’addition de tous nos chiffres donnerait 1,012,000.