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CHARLES GUÉRIN.

rellement alimentés par les progrès du défrichement l'ont déjà récompensé de ses peines. Il n’est pas énormément riche, car il n’exploite pas les habitans à la façon de M. Wagnaër, mais il jouit d’une assez belle aisance.

Il habite un cottage qui n’est point sans prétentions. C’est une blanche maison suspendue à mi-côte dans une anse que forme la rivière : elle est entourée d’arbres et d’une luxuriante végétation, qui contraste agréablement avec l’aspect sauvage de la chute.

De l’autre côté, on voit s’élever en amphithéâtre l’Église et le groupe de maisons dont fait partie celle du Docteur. Les terres que Charles et ce dernier avaient commencé à cultiver, sont maintenant confiées à des fermiers que surveillent Jacques Lebrun et l’oncle Charlot. Ce qui n’empêche pas Jean Guilbault, dans les loisirs que lui laisse sa profession, de travailler lui-même comme deux bons habitans. L’hiver, il se permet de fréquentes et lointaines excursions. Il chasse dans les bois avec le premier venu, le lièvre, le castor, le caribou, le chevreuil ou l’orignal. C’est le seul chagrin qu’il cause à sa femme.

Une de ces parties de chasse a failli lui être fatale. C’était en 1837. Il avait annoncé une absence de trois semaines, qui lui permit de se rendre à St. Eustache. Il s’y battit comme un brave, ne manquant jamais un ennemi quand une fois il l’avait ajusté. Il fut assez heureux pour se tirer sans accident de cette bagarre. Il ne s’en est pas beaucoup vanté, et quoiqu’il ait depuis reconnu la folie de cette expédition, il n’a pas étourdi l’univers du bruit de son repentir. Il tient pour fait ce qu’il a fait, et ne conserve point de rancune aux chefs du mouvement, des risques qu’il a courus de son plein gré.

Louise a toujours ignoré cette circonstance. Elle et Marichette s’aiment tendrement et se voient souvent, grâce au pont