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CHARLES GUÉRIN.

sa paroisse étaient sur le point d’émigrer à l’étranger. Leurs pères après avoir donné à l’aîné la moitié de la terre de l’aïeul ne pouvaient point partager l’autre moitié en quatre ou cinq lambeaux : ils n’avaient point non plus les moyens d’acheter de nouvelles terres ; il fallait donc partir. Les uns voulaient s’en aller dans les Pays d’en Haut, ce qui veut dire la Baie d’Hudson, la Rivière Rouge, voir-même la Colombie et la Californie : les autres dans l'Amérique, ce qui veut dire le Maine, le Vermont, le Michigan ou l’Illinois.

Charles rassembla à la porte de l’église tous les fugitifs et il leur fit un magnifique sermon en trois points sur la lâcheté qu’il y avait d’abandonner son pays, sur les dangers que l’on courait de perdre sa foi et ses mœurs à l’étranger, sur l’avantage et le patriotisme de fonder de nouveaux établissemens sur les terres fertiles de notre propre pays.

Sa harangue fut écoutée froidement sans marques bien évidentes d’approbation ni d’improbation, comme c’est le cas d’ordinaire chez nos flegmatiques habitans. Seulement quand il eut fini, il entendit rire et murmurer dans les groupes.

— Veut-il donc qu’on meure de faim pour lui faire plaisir, ce beau monsieur ?

— On est ben partout ous’qu’on a de quoé manger.

— C’est ça ; on va chercher fortune ; quand on est ben, on y reste ; quand on est pas ben, on s’en revient.

— Ouvrir des terres dans les trompeships ! je voudrais l’y voir avec ses belles mains blanches.

— Oui et pas d’argent pour commencer !

— Il en ferait de belles !

— Qu’il nous en fasse donc avoir lui des terres ! La moitié du temps, ça n’a pas de maître ces terres-là ; il en resout seulement, quand on a fait ben de la dépense dessus !

— Avec ça, qu’il n’y a pas de chemins et qu’il faut porter ses provisions sur son dos.