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CHARLES GUÉRIN.

la fortune de feu votre oncle, et de l’autre tiers que je viens vous contraindre d’accepter.

— Me contraindre, s’écria la jeune fille avec un accent légèrement moqueur ? Vous n’aurez peut-être point affaire à moi seule.

— Je m’y attends bien et je désire que vous me fassiez connaître au plus vite l’autre partie intéressée. Il lui faudra beaucoup de fierté et même de dureté, si je ne parviens pas à lui faire accepter ce cadeau de noces.

— Une autre partie intéressée ! Un cadeau de noces !… Je voulais parler de mon père. Vous avez donc cru que j’avais pu faire comme vous ?

Ces paroles furent dites d’une voix très émue. Marie était vraiment belle dans ce moment : toute sa personne était séduisante de grâce et de distinction naturelle. Charles ne douta point de deux choses, la première qu’il ne l’eût aimée constamment et plus que chose au monde, la seconde qu’elle ne l’aimât à la folie, ce qui était évident.

Au théâtre, c’eût été le moment pour notre héros de se précipiter à genoux et de fondre en larmes.

Dans la vie réelle entre gens un peu civilisés, on prend un fauteuil, on s’y installe pour continuer l’explication plus à son aise. C’est ce que fit Charles sur un signe de Mlle. Lebrun.

— Je n’ai pas pu comprendre autrement le renvoi dédaigneux de ma lettre et de l’acte de renonciation.

— Votre lettre, est-ce qu’elle valait la peine d’être conservée ? Que disait-elle donc de si touchant cette grande lettre d’affaires ? Pour ce qui est de l’acte… je n’aime pas les renonciations. Tenez, je conçois bien que vous ayez eu quelque délicatesse vis-à-vis d’une héritière comme moi ; mais après tout, je ne pouvais point comprendre ce que vous ne disiez pas, et je ne pouvais point non plus vous écrire de venir. Nous avons fait l’un et l’autre ce que nous devions faire.