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CHARLES GUÉRIN.

tomba des mains. J’ajournais chaque fois ma résolution, dans l’espoir d’avoir quelque chose de plus satisfesant à vous annoncer.

Le moine qui m’avait recueilli était un vieillard respectable et savant, il occupait une charge importante dans sa maison. Il avait ses vues sur moi, mais, en homme habile, il me laissait à mes réflexions et me glissait rarement un mot de religion. Je vivais dans la communauté avec la parfaite liberté que j’aurais eue dans une hôtellerie. J’allais et je venais, sans que l’on parût s’occuper de moi.

Ce ne fut pas dans la colossale église de St. Pierre, ni dans aucune des grandes basiliques, que me vint l’idée d’embrasser la vie religieuse : mais dans une petite chapelle du Transtevère, devant une humble madone dont j’étais dans ce moment là le seul suppliant. La solitude de cette église me rappella le calme religieux de nos églises du Canada. Une femme d’une quarantaine d’années, qui vint s’agenouiller devant la madone, avec un jeune garçon d’une dixaine d’années et une petite fille plus jeune que son frère, me rappela ma mère avec qui elle me parut avoir quelque ressemblance. Je pensai que Charles, que je croyais ecclésiastique, était probablement agenouillé dans le sanctuaire de la chapelle du séminaire à Québec, et peut-être ma mère et ma sœur dans l’église de R… Les lieux et les personnes se représentèrent à mon imagination avec une réalité, un mouvement, une vie qui tenaient du prodige. Pour la première fois depuis mon départ, je versai des larmes abondantes. Je fis une fervente prière et je sortis de l’église un tout autre homme. Ma vocation religieuse était décidée. Le père directeur à qui je fis cette confidence n’en parut nullement étonné : il me conseilla cependant d’y réfléchir sérieusement, et, lorsqu’après deux jours je persistai dans ma détermination, il me conduisit au collège de la propagande. Les connaissances que j’avais déjà acquises firent qu’au bout