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CHARLES GUÉRIN.

fond la langue française, s’offrait à donner des leçons d’anglais dans les familles. Il se présenta plusieurs élèves et l’on trouva que je parlais très bien le français pour un américain. Je songeai que si jamais j’allais m’échouer en Angleterre, je jouerais le même rôle en sens inverse. On trouverait-là, que je parle bon anglais pour un français.

Je ne trouvais pas ce genre de vie très mauvais : j’étais introduit dans les meilleures familles en ma qualité de précepteur, et avec une politesse exquise, on y dissimulait tout ce que ma position secondaire pouvait avoir de blessant pour moi. Un jour cependant que je regardais la mer, couverte de vaisseaux aux pavillons de toutes les nations, cette belle Méditerranée, si étincelante et si engageante en comparaison des eaux ternes et froides de nos pays du Nord, me séduisit complètement. J’avais fait quelques petites épargnes assez pour prendre un passage de seconde classe pour l’Italie. J’eus bientôt fait mes malles, et, sans prendre congé de mes élèves qui me devaient cependant encore quelques francs, je me trouvai le soir même à bord d’un brigantin fesant voile pour Gênes.

Je crus, après quelque temps passés dans cette ville, que je ne pourrais jamais en partir, et si j’étais né dans ses environs comme Christophe Colomb, j’aurais laissé à d’autres le soin de découvrir l’Amérique. Je n’ai point fait fortune à Gênes : je m’y suis comporté en philosophe de l’école des péripatéticiens. La belle promenade des môles qui s’avancent si loin dans la mer, et d’où l’on peut contempler l’amphithéâtre de marbre et de verdure qui s’élève sur le penchant de la montagne, celle d’Acqua sola plus belle encore, et celle d'Acqua verde, où je coudoyais le soir les élégans seigneurs, maîtres des palais que j’admirais tant, m’offrirent des charmes qui absorbèrent jour après jour, soirée après soirée. Passer son temps à contempler les palais des autres, c’est bien le meilleur moyen de n’en avoir jamais. Aussi je me trouvai bientôt en