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CHARLES GUÉRIN.

et une petite pacotille d’images et de brimborions, et avec cela nous nous mîmes assez gaîment en route. Johnson avait pour sa part de besogne la comptabilité, et l’agencement de nos soirées scientifiques ; c’était moi qui fesais les discours : c’est-à-dire dans les villages où l’on comprenait le français. Dans les autres, il y avait toujours quelque savant qui nous interprétait en patois. Il fesait beau me voir raconter les batailles de l’empire et répéter les mots sublimes du petit caporal, ou bien encore les contes de Barbe-bleue et du petit Chaperon-Rouge, la parabole de l’enfant prodigue, Géneviève du Brabant, et l’astronomie en six leçons. Car il y avait de tout cela dans notre lanterne magique. Quoique Johnson sut assez de français pour se tirer d’affaire, on le reconnaissait assez facilement pour un rosbif et nous n’étions pas toujours trop bien venus. Quant à moi, on ne savait trop à qui me donner. A mes manières on me croyait anglais, à mon visage on me prenait pour un italien, à mon langage on était assez porté à me reconnaître pour un compatriote. Mais de quelle province ? C’était une autre affaire. Je n’étais point du Sud, c’était bien clair. Mais étais-je normand, picard, ou breton ? C’était bien difficile à dire. Je n’avais l’accent d’aucune de ces provinces en particulier, mais un peu de tout cela mêlé ensemble. Je mettais tout le monde d’accord en disant que j’étais Américain. Cela répondait à toutes les suppositions. Je voulus dire que j’étais canadien-français. Autant aurait-il valu leur annoncer que je venais de la lune. Il est complètement sorti de l’esprit du peuple en France qu’il y ait un Canada. Ceux qui me comprirent crurent que j’étais un sauvage, et on m’accabla de mille sottes questions. Johnson voulut mettre cela à profit. Il me suggéra gravement de me fabriquer un accoutrement bizarre quelconque, s’offrant à devenir mon cornac, et à me montrer par curiosité en sus de la lanterne magique. Je ne goûtai point cette proposition, et je fus singulièrement humilié du zèle qu’il ne tenait qu’à moi de