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CHARLES GUÉRIN.

que l’exploitation de cette paroisse ne sera pas complète, tant que je n’aurai pas construit deux ou trois moulins là-dessus. Le seigneur a été assez peu rusé pour ne pas consentir à exercer son privilége en ma faveur[1]. S’il eût voulu seulement s’entendre avec moi, nous fesions sauter cela des mains de la belle veuve, sans qu’elle eût le moindre mot à dire. Avant dix ans peut-être, M. de Lamilletière aurait reçu de superbes lods et ventes, trois ou quatre cent louis dans le moins… tandis qu’avec ces Guérins, ça va rester à ne rien faire. La mère a été assez folle pour faire étudier ses enfans, ça veut dire qu’ils ne feront jamais rien de bon… rien que des griffonneurs de papier… voilà tout… Miséricorde ! un si beau waterpower ! Mais les vieilles noblailles comme ce M. de Lamilletière… ça n’a pas la moindre idée des spéculations. Laisse faire, pauvre François, si je puis seulement acheter un petit bout de seigneurie, tu verras comme j’en découvrirai moi, des droits féodaux !

— Il me semble pourtant, monsieur Wagnaër, que je vous ai entendu parler de ces choses-là d’une toute autre façon. Les gros marchands anglais qui viennent vous voir quelquefois…

— Font bien du bruit contre la féodalité, n’est-ce pas ?… Eh bien ! ils sont comme moi, ils ne pensent qu’à acheter des seigneuries, et je t’assure que, quand ils en auront, ils sauront les faire valoir. Mais pour le présent, ce n’est pas une seigneurie, c’est cette terre seulement, c’est cette maudite rivière qu’il me faut. Dire que ce vieux Jérôme Deschênes n’a jamais voulu me vendre son hypothèque de deux cents livres, même à dix pour cent de prime, sous le prétexte qu’il a eu autrefois de grandes obligations à ce M. Guérin…

— Faut que ce bonhomme-là ait une dure mémoire !… Tenez, M. Wagnaër, voulez-vous que je vous dise : offrez-leur

  1. Dans presque toutes les seigneuries du Bas-Canada, les seigneurs ont ou prétendent avoir un droit exclusif à toutes les places de moulins.