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CHARLES GUÉRIN.

rent malheureux. Le capitaine se plaisait à me donner les ouvrages les plus rudes, et affectait de me traiter comme le dernier de ses hommes. Ceux-ci cependant, lorsqu’ils virent que je mordais aussi franchement qu’eux dans le gros biscuit, et que je fesais mon devoir sans me décourager, changèrent de ton. On cessa de me plaisanter, et même, lorsque je semblais en peine, on venait à mon aide, précisément parce je ne le demandais point. Au bout de la traversée, j’étais aimé de tout le monde, et j’avais fait deux amis particuliers.

« L’un d’eux était un jeune anglais de bonne famille. Il avait dissipé son patrimoine, et s’était ensuite jeté dans toutes sortes d’aventures. Il avait parcouru les Indes et l’Amérique du Sud ; l’Indoustan et le Chili lui étaient aussi familiers que l’Angleterre. Ses récits m’enchantaient et me raffermissaient dans ma nouvelle vocation. Sa protection me valut beaucoup et empêcha le capitaine de me maltraiter, comme il y paraissait disposé.

« Mon autre ami était un Italien. Nous parlions latin, et nous récitions ensemble des odes d’Horace et quelques vers de Virgile. Nous chantions aussi des hymnes d’église. Il m’apprit un peu d’italien, et il me disait avec tant d’enthousiasme les beautés de sa terre natale, que je me promis bien de la visiter. La Méditerranée et l’Adriatique étaient d’ailleurs dans mes rêves d’enfant, et il me semblait que ces mers classiques devaient être bien différentes de l’Océan mystérieux et sans borne sur lequel nous étions lancés.

« Mazelli avait étudié pour être prêtre ; mais un beau jour, en lisant à Gènes la vie de son compatriote Christophe Colomb, il s’était embarqué pour l’Amérique. Je lui dis un jour qu’il était surprenant que l'Italie, qui avait fourni Christophe Colomb et Americo Vespuci, ne possédât pas un pouce de terre dans la partie du monde qu’elle avait découverte et nommée.

« Oh, me dit-il, si l’Italie pouvait se posséder elle-même !