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CHARLES GUÉRIN.

Louise n’était plus la même jeune fille que nous avons peinte au début de cette histoire. Elle avait grandi, et perdu en grandissant son frais et gracieux embonpoint. Ses joues n’avaient plus leurs belles couleurs. Sa physionomie de naïve et enjouée était devenue mélancolique, ses mains si blanches et si potelées étaient maintenant effilées, et portaient les traces de labeurs qui ne semblaient point faits pour elles.

Mais pour être autrement belle, elle ne l’était pas moins. Le malheur avait imprimé un cachet sévère à sa beauté. Sa taille svelte et cambrée, emprisonnée dans une robe noire qui fesait ressortir l’éblouissante blancheur de sa peau, rappelait la stature de sa mère, et l’expression de douceur et de gaieté répandue sur sa figure aurait complété la ressemblance pour celui qui aurait oublié que Madame Guérin était aussi brune que sa fille était blonde.

L’orpheline était tellement absorbée dans sa rêverie, que Charles put monter l’escalier, entrer dans sa chambre et s’approcher tout près d’elle, sans qu’elle en eût connaissance. Elle tressaillit vivement lorsqu’une main caressante s’appuya sur son épaule, et le regard qu’elle adressa à son frère fut mêlé de surprise et de reproche ; car la figure du jeune homme avait une expression de gaieté qui lui déplut.

— Voyons, petite sœur, j’ai de bonnes nouvelles à te conter, fit Charles en donnant à sa voix l’inflexion la plus douce. Louise ne répondit point, et leva les épaules en signe d’indifférence.

— Mais comment donc ? Est-ce que tu ne serais plus curieuse ?

L’orpheline regarda le ciel, comme pour dire que désormais les bonnes nouvelles ne pourraient lui venir que de là.

— Je viens de recevoir une lettre de quelqu’un que nous aimons bien, reprit Charles, décidé cette fois à se faire écouter.

— De qui donc ? demanda vivement la jeune fille, car elle n’osa point comprendre du premier coup.