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CHARLES GUÉRIN.

aigues, que décoche à coup sûr un implacable et invisible ennemi ; la terre des ténèbres couverte des ombres de la mort, vallée de misères, où il n’y a point d’ordre, mais une confusion et une terreur éternelles… ubi nullus ordo sed sempiternus horror inhabitat… telles étaient les images que David et Job avaient tracées d’avance, et qui lui représentaient l’horreur du lieu où il se trouvait et la terreur du fléau qui venait y accumuler ses victimes.

« J’attendrai jusqu’au matin, disait encore Job, le tombeau sera ma maison, et je n’aurai point d’autre lit que ce lieu de ténèbres. Je dis au sépulcre : vous serez mon père, et aux vers, vous serez ma mère et mes sœurs.»

Son imagination s’exalta par degrés, et cédant à une sorte d’hallucination, il revêtit de nouveau le surplis et l’étole noire qui servent aux sépultures, et il marcha pendant une partie de la nuit dans la chapelle, psalmodiant à haute voix les répons de l’office.

Le fossoyeur, qui vint de grand matin se remettre à sa pressante besogne, recula épouvanté et appela le gardien du cimetière. Celui-ci crut aussi lui à une vision, et il semblait en effet qu’un prêtre-fantôme et un cercueil fantastique s’étaient installés dans la chapelle mortuaire. Puis, se rappelant ce qui s’était passé la veille, il s’adressa au jeune homme qu’il rappela difficilement au sentiment de la réalité.

Pierre jeta alors un dernier regard sur les traits chéris de sa mère, fit une courte prière (son dernier adieu) et laissant entre les mains du concierge des morts, une somme suffisante pour creuser une tombe, à celle à qui il ne pouvait plus rien donner autre chose, il s’éloigna lentement, traînant avec peine le fardeau de ses pensées.