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CHARLES GUÉRIN.

— Je ne suis pas fou, reprit le jeune prêtre, devinant leur pensée, je ne suis pas fou. Mais voilà bien des centaines de lieues que je fais pour voir ma mère et avant que la terre ne l’ait recouverte, il est bien juste que je contemple encore une fois ses traits dont l’image m’a suivi partout. Je veux la revoir. Charles, où l’a-t-on mise ?

— Je suis étudiant en médecine et avant que vous ne risquiez une expérience aussi dangereuse…

— Si monsieur est médecin, il sait qu’un prêtre et un médecin ne doivent jamais craindre.

— Et je sais que ni l’un ni l’autre ne doivent s’exposer inutilement.

— Il y a ici un devoir à remplir pour vous et pour moi. Cette terrible maladie veut des enterrements bien prompts… Si j’en crois la rumeur…

— Bah ! des contes en l’air ! interrompit le gardien du cimetière. Si on croyait tout ce qui se dit, il y aurait plus de vivans que de morts d’enterrés. Le monde est si bavard ! Il n’y a qu’un pauvre matelot que nous avons trouvé dans son cercueil avec un bras mangé. Tout le reste, c’est des contes et des histoires !

Les trois jeunes gens frémirent.

— Eh bien, dit Jean Guilbault, je ne dis pas que vous ayez tout-à-fait tort.

— Mais c’est donc pour tout de bon, que vous voulez ouvrir un cercueil ? Ah, ça ! ça ne se fera pas de même, par exemple ! mon caractère, voyez-vous, ma place, voyez-vous !

— Et il retournait entre ses doigts son chapeau à larges bords, d’un air qui voulait dire : si cela se fait, du moins que je n’en aie point connaissance, que je ne sois point compromis.

— Tenez brave homme, reprit Pierre Guérin, avec un ton et un geste impérieux, allez-vous-en, et laissez-nous faire. Je prends tout sur moi.