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CHARLES GUÉRIN.

ses à la hâte sur le compte de sa famille, le hasard avait voulu qu’il s’adressât à des personnes qui, peu au fait, lui avaient répondu que ses parens demeuraient toujours à R… Pendant la courte cérémonie funèbre, comme nous l’avons remarqué, Charles s’était tenu à l’écart et le jeune prêtre tout entier à son devoir, n’avait pas égaré ses yeux jusque sur lui.

Ce fut seulement lorsqu’il lui fallut, pour rédiger les actes de sépulture, parcourir la longue liste nécrologique de cette terrible journée, qu’il fut frappé d’y trouver en toutes lettres le nom de sa famille. Son œil distrait crut d’abord à une de ces coïncidences bizarres qui ne causent qu’un instant de malaise. Mais à mesure qu’il regardait la liste fatale, les prénoms, les qualités, les accessoires se tracèrent successivement à ses yeux comme la forme d’abord indécise du spectre que l’on voit dans un songe et qui ne tarde pas à prendre une ressemblance connue. Sans prononcer une seule parole, il tomba dans une syncope que les autres émotions de la journée et les longues fatigues du voyage avaient d’ailleurs préparée.

Dès qu’il revint à lui, la présence de Charles opéra une réaction subite et favorable. Il lui vint à l’idée qu’il n’avait point tout perdu, puisqu’il lui restait un frère, et cette pensée en amena une autre qui se traduisit par cette question. —

— Et ma sœur ?

— Louise est bien. Telles furent les premières paroles échangées entre les deux frères. Puis, comme si la possibilité d’un autre malheur l’eut frappé, Charles ajouta : viens avec moi, allons voir cette pauvre enfant. Et en disant cela, il prit le bras de son frère.

Pierre fit quelques pas, puis s’arrêta.

— Je n’ai pas vu ma mère, dit-il, d’un air résolu. Il faut que je la voie.

Guilbault et Charles se regardèrent avec un étonnement mêlé d’effroi.