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CHARLES GUÉRIN.

— Ah ! c’est que j’ai une bien mauvaise nouvelle à vous apprendre. Au moins, il ne faudrait pas vous effrayer ; si je vous dis cela, c’est afin de vous mettre sur vos gardes, et de vous envoyer à la campagne, s’il y a moyen pour vous d’y aller… C’est qu’il y a eu aujourd’hui deux cas bien constatés du choléra asiatique… le véritable choléra morbus asiatique.

— Miséricorde ! s’écria Madame Guérin.

— Mon dieu, mon dieu ! fit Louise.

— Gagner la campagne : mais cela nous est impossible. Avec quoi vivrons-nous ? Où aller ?

— C’est cela ! reprit Jean Guilbault, ça n’est possible que pour ce triple scélérat de Voisin. Je suis certain que cet escogriffe se sauve déjà. Il paraissait tout content de lui, et il m’a regardé d’un air goguenard…

— Ah ça, monsieur le docteur, c’est donc bien terrible ce moléra corpus, demanda l’oncle Charlot ?

— Il a été bien terrible en Europe, reprit le jeune homme en comprimant un sourire, mais on espère qu’ici il ne sera pas aussi cruel. Le climat est bien sain et la position de Québec surtout est si salubre ! Il y a tant d’air dans cette ville, dans ce quartier-ci par exemple. Avec une bonne hygiène, on peut s’en préserver.

— Ces deux cas où en sont-ils ?

— Morts tous deux et enterrés dans le nouveau cimetière, que la Fabrique vient d’acheter sur le chemin St. Louis.

— Et les connais-tu ?

— Non, ce sont deux irlandais nouvellement débarqués.

— Maman, observa Charles, vous avez beau dire, vous ne pouvez pas rester ici, ni Louise non plus.

— Mon pauvre enfant, que veux-tu faire ? La mort nous trouvera bien partout où nous irons. La mort, c’est lorsqu’on la fuit, qu’elle s’attache à nos pas ! Il est bien rare que ceux qui la désirent la voient venir.