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CHARLES GUÉRIN.

Quelquefois il la justifiait, d’autre fois il la condamnait et la méprisait. C’était un procès continuel qui s’instruisait dans son esprit, mais le juge était trop intéressé pour être impartial. Tantôt une excessive indulgence, tantôt une excessive sévérité fesait pencher injustement l’un ou l’autre plateau de la balance.

Dans les momens de désespoir un autre souvenir lui venait, qu’il s’empressait de repousser, comme on chasse une pensée basse et honteuse. N’eût-il pas été indigne en effet de songer à Marichette dans le malheur, après l’avoir oubliée pour courir après le bonheur et la fortune ?

Cependant il trouvait déjà dans la nouvelle vie qu’il menait d’abondantes consolations. Il lui semblait, avec raison, que tous ceux à qui il avait affaire le considéraient et l’aimaient davantage.

M. Dumont avait longtemps affecté de lui parler le moins possible, et avait écouté assez froidement le récit de la catastrophe au sujet de laquelle il avait bien quelques petits reproches à se faire, et comme patron et comme conseil ; mais peu-à-peu il parut s’intéresser à lui de nouveau et lui rendre sa confiance et son amitié. Ses compagnons d’études, braves jeunes gens envers qui Charles avait pris des airs cavaliers au temps de ses splendeurs, se rapprochèrent de lui bien volontiers, dès qu’ils le virent disposé à se rapprocher d’eux.

Après une journée laborieuse et bien remplie, il passait de douces soirées en famille avec son ami Guilbault, qui manquait rarement au rendez-vous. On jouait une ou deux parties de whist, Louise chantait, sans trop se faire prier, tout ce qu’elle savait de romances et de chansonnettes ; l’oncle de Charles racontait quelque histoire du bon vieux temps ; Madame Guérin s’arrachait quelques instans à la sombre douleur qui la minait, pour prendre part à la conversation ; on lisait quelque poésie ou quelque nouvelle publiée dans le journal du soir, que l’étu-