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CHARLES GUÉRIN.

s’offrit à Louise. Cet endroit était un de ceux qui pouvaient le mieux lui donner un avant-goût du bruit et des misères de la ville. Sur la place de la grève, sur les quais voisins, et dans les rues étroites qu’il lui fallut, parcourir, s’agitait une foule bruyante, bigarée de costumes étranges, parlant et entremêlant deux idiômes differens, appliquant à mille occupations diverses cet empressement brutal, qui forme un si grand contraste avec les travaux lents et paisibles de la campagne.

D’abord, c’était des charretiers aux costumes pittoresques, dont les jurons, plus pittoresques encore, enrichissaient la langue française, tandis que les uns reçevaient dans de lourdes charrettes, ou sur de longs cabrouets les cargaisons des bâtimens, et que les autres emplisaient à la rivière des tonnes d’une eau sale et triste à voir, la seule cependant que l’on boive à Québec où il n’y a point d’aqueduc.[1] Plus loin, c’était des matelots qui blasphémaient dans la langue de la fière Albion, inférieure à nulle autre sous ce rapport. Ici, c’était des sauvage avec leurs capots bleus, et des sauvagesse drapées dans des couvertes blanches ; là, c’était des soldats anglais revêtus de leur uniforme écarlate, qui souvent tranchait vivement et de près sur les dites couvertes blanches. Des émigrés irlandais portant l’habit blue, ou vert, et la culotte courte traditionnelle, celle-ci boutonnée assez souvent sur la jambe nue, ce qui leur a fait donner par les Canadiens le sobriquet ironique de bas-de-soie, (lucus à non lucendo) des femmes enveloppées de manteaux bleus et portant, quelques unes le plus jeune de leurs enfans sur leurs dos à la manière des sauvages et des bohémiens ; des habitans aux vêtemens de gros drap gris de fabrique domestique, à la tuque bleue ou rouge, au tablier de cuir, et aux grandes bottes rouges rattachées par une courroie, à la

  1. Un aqueduc est maintenant en construction. Le Québec que nous décrivons n’est déjà plus le Québec d’aujourd’hui. Il s’est fait depuis cinq ou six ans nombreuses améliorations. Voyez note D. à la fin du volume.