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CHARLES GUÉRIN.

ces cargaisons de chair humaine. Tout peint en noir comme un cercueil, et habité par de hâves créatures, dont les membres décharnés à demi-nuds visaient au squelette, le navire semblait un de ces vaisseaux fantastiques peuplés de revenans, dont parle la légende maritime de tous les pays. Une circonstance rendait son aspect plus sinistre encore. Le choléra, comme l'on sait, sévissait alors en Europe pour la première fois, et il était assez naturel de croire que, pour faire le voyage d’Amérique, le fléau avait dû prendre passage de préférence sur ce vaisseau infect. Tout le monde à bord de la goëlette se sentit soulagé, lorsque l'on perdit de vue la Grosse Isle et son lazaret.

La lune se levait ; et, selon l’expression des marins, elle eut bientôt tué le vent. Cependant la brise était encore assez forte pour que l’on filât avec une vitesse assez respectable. Charles et Louise ne furent nullement fâchés du ralentissement qui leur permettait d’observer plus à leur aise le panorama si varié qui se développait devant eux. La scène changea plusieurs fois de décoration ; tantôt le vaisseau passait entre deux côtes abruptes et rapprochées, tantôt il voguait comme dans une espèce de lac, dont les bords s’élevaient lentement et en amphithéâtre. Les anses, et les pointes de la terre ferme du sud et de l'Isle d’Orléans causent ces contrastes, qui se répètent plusieurs fois avant que l’on n’atteigne la rade de Québec.

Louise n’eut pas voulu pour beaucoup perdre le coup d’oeil de l’entrée dans le bassin qu’on lui avait toujours représenté comme un des plus beaux que l’on paisse imaginer. Elle passa avec Charles la plus grande partie de la nuit sur le pont, malgré le froid un peu vif contre lequel la protégeaient, bien entendu, tous les châles et les manteaux que sa mère avait pu trouver.

Dès que le vaisseau eût dépassé cette longue pointe de terre, qui porte le nom de l’immortel vainqueur de la bataille