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CHARLES GUÉRIN.

d’Henri Voisin, et il n’en était que plus évident, par l’astuce dont chaque phrase était pleine, que ce dernier l’avait dictée d’un bout à l’autre. On pouvait la lire et la relire, sans trouver une seule syllabe qui pût compromettre son auteur.

Malgré la défense qu’on lui fesait et peut-être même à cause de cette défense, il eût été bien facile à notre héros de se ménager des entrevues secrètes avec Clorinde ; mais il comprit de suite tout ce que sa position avait de faux, et qu’il aurait l’air de mendier clandestinement auprès de cette jeune fille la fortune dont il se voyait dépouillé. Bien qu’il lui en coûtât beaucoup, il se décida à la laisser juger elle-même de ce qu’elle devait faire, dans les circonstances difficiles où elle se trouvait. Il lui écrivit en peu de mots, lui annonçant son départ prochain et celui de sa famille, l’informant de l’ordre qu’il avait reçu de M. Wagnaër, de l’obligation qu’il y avait pour lui de s’y conformer, et protestant avec réserve et dignité toutefois de l’amour qu’il entretenait et entretiendrait toujours pour elle. Il ne reçut aucune réponse.

Le jour fixé pour le départ arriva. Madame Guérin et sa fille assistèrent à la messe de grand matin, tandis que l’oncle Charlot fesait charger à bord d’une goëlette ce qu’ils devaient emporter de ménage. C’était pour elles, comme nous l’avons déjà vu, une pieuse habitude à laquelle elles manquaient rarement, et ce jour-là elles avaient besoin plus que jamais de puiser au pied des autels cette résignation sainte qui, dans l’âme sensible de la femme, peut seule adoucir les amertumes de la vie.

Après avoir aidé à son oncle à transporter les derniers ballots d’effets, Charles revint à la maison, et ayant fermé avec précaution tous les contrevents et toutes les portes, il donna un tour de clef à la porte principale et, tout en balançant au bout de son bras le trousseau de clefs, il s’arrêta quelques instans sur le tertre qui se trouvait devant la maison. De là il contem-