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CHARLES GUÉRIN.

Restée seule avec mon père, il tint sa parole et me fit élever dans la religion catholique ; mais il me rappela souvent qu’il espérait que je serais fidèle à ma promesse ; et que je devais me préparer à épouser l’époux de son choix, sans murmure et sans hésitation.

Je fis graver sur la petite croix de corail mes initiales et la date du jour funeste où je perdis cette pauvre mère.

Maintenant vous savez tout. Ce vœu solemnel fait entre les mains d’une mourante ; cette promesse de mon enfance, pensez-vous Charles que je doive y manquer ?

Le jeune homme ainsi interpellé garda quelques instans le silence.

Il était profondément ému. Mais l’instinct de ses propres intérêts, et mieux que cela un sentiment plus noble, que le récit de Clorinde avait accru, le poussèrent à soulever une distinction qui lui parut formidable.

— Votre promesse, dit-il, peut bien vous empêcher de vous marier avec moi, tant que votre père n’y consentira point ; mais elle ne saurait vous obliger à devenir Madame Voisin.

— Je l’espère bien, quoique mon père l’entende autrement. Il y a longtemps que je vous aurais informé de toutes ces choses, mais, dans les commencemens, mon père paraissait voir vos assiduités d’un assez bon œil. Du moment où je me suis apperçu qu’il prenait M. Voisin sous sa protection, je vous ai conseillé de faire des démarches que vous avez négligées. Je ne pouvais point vous faire connaître mes motifs. Aujourd’hui mon père m’a parlé très clairement. Il prétend m’avoir toujours destiné M. Voisin depuis qu’il le connaît. Il m’a fait une scène bien violente et pour la première fois de sa vie, il m’a parlé durement…

D’après ce qu’ils connaissent, nos lecteurs s’imaginent bien que notre héros dût abandonner toute idée d’enlèvement. Malgré les plus tendres paroles qu’ils purent se dire, Charles se retira