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CHARLES GUÉRIN.

— Maintenant, ce n’est pas tout : quand tu seras grande, tu voudras peut-être te marier.

— Oh ! non, dis-je, si tu veux vivre et ne pas mourir, je te promets que je ne me marierai pas. Je resterai toujours avec toi. Je disais cela d’un ton de conviction, comme si un semblable marché eût pu se faite. Ma mère et tous les autres ne purent s’empêcher de sourire. Écoute bien, me dit-elle, je ne suis pas libre de mourir, et quand tu seras grande, tu seras peut-être d’avis de te marier. Il faut que tu me promettes de ne te marier qu’avec celui que ton père te destinera pour époux, et de t’en rapporter entièrement à lui. Les enfans qui se marient sans le consentement de leurs parens sont toujours malheureux. Te souviendras-tu que ce sont les dernières paroles de ta mère ? Je te les ai répétés bien des fois ces jours-ci, pour que tu ne les oublies jamais.

Puis elle prit la petite croix de corail qu’elle m'avait donnée, elle la plaça dans mes mains : gardes toujours cette petite croix pour te souvenir de moi. Me promets-tu de ne pas te marier malgré ton père, et de l’écouter toujours en toutes choses ?

— Je promets, dis-je, de me marier comme papa voudra.

Eh bien, dit-elle, chaque fois que tu verras cette petite croix, tu te souviendras de ce que tu m’as promis, n'est-ce pas ?…

Elle fit encore un effort, m’embrassa, et l’on m’emporta.

Je ne fermai pas l’œil de la nuit : je ne savais pas de que c’était que la mort, j’épiais jusqu’àu moindre mouvement.

Il y eut beaucoup d’allée et de venue toute la nuit, et le matin, on me fit monter sur le pont, où je vis ma mère étendue sur une espèce de lit : elle paraissait dormir. Le capitaine, les passagers et tout l’équipage étaient à genoux et le jeune prêtre lisait des prières.

Je compris alors que ma mère était morte, et j’eus une idée confuse de ce que la mort peut être.