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CHARLES GUÉRIN.

de son temps à jouer aux cartes, et à fumer avec eux ; un vieux gentilhomme français qui se rendait au Canada pour y réclamer une succession, et un jeune prêtre irlandais, qui avait fait ses études à Paris. Ces deux derniers causaient souvent avec ma mère, qui avait reçu son éducation en France. Mon aïeule maternelle était française et catholique ; mais mon grand père avait voulu que ses enfans fussent élevés dans la religion protestante.

Ma mère aimait beaucoup la controverse religieuse, soit qu’elle eût des doutes sur le culte qu’elle professait, soit qu’elle voulût faire du prosélytisme, ce qui est une maladie assez commune chez les personnes de notre pays. Elle entamait souvent de longues discussions, dans lesquelles elle ne laissait pas que de donner beaucoup de trouble au jeune prêtre, au grand amusement du vieux français qui était catholique à gros grains, comme il le disait lui-même.

Cependant peu-à-peu ma mère devenait moins railleuse, et il arrivait souvent qu’elle écoutait avec un silence respectueux et presque convaincu les discours de son adversaire.

Nous n’étions point à la moitié du voyage, qu’elle fut prise d’un crachement de sang violent, et elle devint si malade qu’il lui était rarement possible de sortir de la chambre.

Le vieux français avait une certaine expérience et quelques connaissances médicales, il dit en secret à mon père qu’il ne pensait pas que ma mère vécût longtemps.

Elle paraissait elle-même frappée de cette idée : elle parlait souvent de la mort et me fesait promettre de prier Dieu tous les jours pour elle, quand elle serait morte, et d’être bien bonne et bien obéissante.

Cependant nous touchions au terme de notre voyage et elle paraissait mieux. Un soir (nous étions alors à l’entrée du golfe St. Laurent), il fesait un beau temps calme et le soleil allait se coucher tout resplendissant de lumière ; ma mère fut