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CHARLES GUÉRIN.

regard que leur sort allait peut-être dépendre de cette conversation.

Ils prirent place sur un divan dans un des angles du salon, et gardèrent quelque temps le silence.

Clorinde le rompit la première : Mon père venait de sortir, quand vous êtes entré… vous ne lui avez rien dit ?

Charles fit un mouvement, qui trahissait l’orgueil blessé, comme s’il eût voulu dire qu’il se félicitait de son silence. Puis il raconta, d’une voix émue, ce qui lui était arrivé et ce que l’on supposait des intentions de M. Wagnaër, en y mettant toutefois la plus grande réserve.

On conçoit aisément l’humiliation profonde que ressentit la jeune fille. Il lui restait cependant la dure nécessité de confirmer par son récit une partie de ce qu’elle venait d’entendre.

— Mon père ne peut pas avoir toutes les vues que vous lui prêtez, dit-elle ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il songe sérieusement à me marier avec M. Voisin, et je crains bien qu’il ne consente que difficilement à notre union.

— Mais, vous, Clorinde, vous ?

— Moi, fit-elle tristement, moi ?

Charles se leva brusquement et, involontairement, il lui lança un regard de mépris.

De grosses larmes jaillirent des yeux de Clorinde plutôt qu’elles n’en coulèrent ; elle détourna la tête, et elle dit comme se parlant à elle-même : Voilà ce que c’est, il gardera cette opinion de moi toute sa vie… il ne me croira pas.

Charles se rapprocha d’elle et reprit sa place sur le divan..

— Clorinde, dit-il, Clorinde, vous êtes bien faible, bien légère et bien coupable envers moi, si vous croyez qu’il vous est permis d’appartenir jamais à un autre qu’à moi.

— Écoutez, dit la jeune fille en fesant un effort sur elle-même, écoutez, je ne savais pas avant ce temps ce que c’est que de